Le bilan de la mise en œuvre de la Constitution de 2011 en débat

Centre Mohamed Hassan Ouazzani

Le bilan de la mise en œuvre de la Constitution de 2011 en débat

 Brahim Mokhliss, LE MATIN 

La nouvelle Constitution de 2011 et l’opportunité qu’elle a offerte d’accéder à un système démocratique ont été les principaux points débattus.

 

Le Centre Mohamed Hassan Ouazzani pour la démocratie et le développement humain a organisé, jeudi dernier à Casablanca, à la veille de journée internationale de la démocratie, un colloque autour du thème «Le processus démocratique au Maroc depuis 2011, quel bilan ?» Des universitaires et des chercheurs ont éclairé de leurs commentaires et analyses la thématique débattue.

«Le processus démocratique au Maroc depuis 2011, quel bilan ?» C’est le thème de la troisième rencontre annuelle organisée jeudi par le «Centre Mohamed Hassan Ouazzani pour la démocratie et le développement humain». Événement ayant lieu à l’occasion de la Journée internationale de la démocratie, mais aussi en célébration de la mémoire de Mohamed Hassan Ouazzani décédé un 9 septembre 1978. Selon Houria Ouazzani Touhami, la présidente du centre et fille du défunt, le thème choisi par le conseil scientifique du Centre «touche à une question d’une brûlante actualité, la mise en place d’institutions démocratiques. C’était d’ailleurs la préoccupation majeure de Mohamed Hassan Ouazzani au moment de la libération du pays, celle de doter le Maroc d’une Constitution démocratique. Cet objectif sera au cœur de son combat jusqu’à la fin de sa vie», a-t-elle expliqué en introduisant les débats de cette rencontre.

Justement, la nouvelle Constitution de 2011 et l’opportunité qu’elle a offerte d’accéder à un système démocratique ont été les principaux points qui ont prévalu tout au long de cette journée. Ainsi, dans ce cadre, le professeur de sciences politiques Abdelouhab Maalmi a analysé «la politique étrangère dans la Constitution de 2011». Dans son analyse, il a évoqué l’évolution de la pratique de la politique étrangère avant et après juillet 2011, date de l’adoption de la nouvelle Constitution. Il a expliqué que la nouvelle Loi fondamentale comportait de nombreuses dispositions qui indiquent que la politique étrangère constitue un domaine partagé entre le Souverain, le gouvernement, le Parlement et les formations politiques. Par ailleurs, il a critiqué, dans ce sens, les partis politiques qui ne disposent pas d’une doctrine en la matière. Il en a voulu pour preuve le bilan de Saâd Eddine El Othmani à la tête du ministère des Affaires étrangères (de janvier 2012 à octobre 2013) qui était un bilan négatif, selon lui. Il a ainsi soutenu que le gouvernement ne jouait pas le rôle qui était le sien à ce niveau.

Pour sa part, le constitutionnaliste Mohammed Madani a expliqué l’importance des lois organiques et des autres textes de loi intervenant dans la mise en œuvre de la Constitution pour accéder à une vie démocratique. Selon lui, les dispositions législatives (lois organiques et lois ordinaires) qui ont accompagné le «tanzil» (mise en œuvre) de la Constitution ont affaibli le contenu avancé de cette Loi fondamentale. En conclusion, il a regretté que la nouvelle Constitution n’ait pas permis de changer significativement les règles du jeu politique.

Par ailleurs, la deuxième partie du débat a focalisé sur le Parti de la justice et du développement (PJD). Il était question de faire le bilan de l’expérience de ce parti au gouvernement et de l’analyse de son discours. Le professeur de sciences politiques et de droit constitutionnel Rachid Mouqtadir a rappelé les sujets qui ont été défendus par ce parti alors qu’il faisait partie de l’opposition. Selon lui, il ne les défendait plus de la même manière, jugeant ainsi négatif son bilan par rapport aux promesses faites au départ. En revanche, il a considéré comme positif le bilan législatif réalisé par le PJD et ses alliés de la majorité sous le gouvernement Abdelilah Benkirane. S’agissant du discours de ce parti, Okacha Ben Elmostafa, enseignant chercheur en sociologie politique et droit public, a posé la question de savoir si le PJD adoptait un discours religieux ou plutôt un discours pragmatique. Il a estimé, en citant des faits, que le PJD est passé de l’utilisation d’un discours religieux (avant de faire partie du gouvernement) à un discours pragmatique. Il est même allé jusqu’à qualifier le PJD d’être l’équivalent d’un parti national libéral, un parti qui défend le «libéralisme sauvage». Selon lui, le PJD met en avant un discours laïc et non plus un discours islamiste.

 

Source : https://lematin.ma/journal/2017/le-bilan-de-la-mise-en-oeuvre-de-la-constitution-de-2011-en-debat/278191.html

L’invention de la Fête du trône

Zamane

Publié le 29/07/2013 par la Revue Zamane.

L’invention de la Fête du trône

imagearticle_Zamane_Invention de la fête du trôneLes différentes dynasties  marocaines ont conçu  leur règne sur une assise politico-religieuse. Une démarche assurant naturellement une légitimité à leur pouvoir et affirmant leur puissance. Ce complexe rituel de la monarchie marocaine atteint son paroxysme sous Ahmed El Mansour (1578-1603), créateur du Makhzen. Mais le plus important à l’époque contemporaine reste sans doute la Fête du trône (Aïd el-aârch), célébrée en grande pompe pour commémorer l’accès du roi au pouvoir. Cette fête est perçue par la majorité de la population et des élites comme un rituel qui se perpé-tue depuis la nuit des temps. Mais la réalité historique est pour le moins différente. De création récente –1933, la Fête du trône s’inscrit dans ce que les historiens appellent l’invention de la tradition, c’est-à-dire la mise en place d’un ensemble de pratiques rituelles pour créer une continuité fictive avec le passé et inculquer des normes de comportement à la population au nom de la tradition. Les promoteurs des traditions inventées choisissent des références et des symboles anciens pour répondre à des préoccupations de leur temps. Sous sa forme actuelle, ce rituel a été créé de toute pièce par Hassan II (1961-1999) pour affirmer la centralité et la suprématie de la monarchie. Il a été ainsi détourné de sa fonction initiale, telle qu’elle a été voulue par les nationalistes : symboliser et célébrer la nation marocaine.

De l’Accession day à la Fête du trône
Ce n’est qu’une vingtaine d’années après le Traité de Fès en 1912 qu’une jeune élite nationaliste émerge dans les principaux centres urbains du pays, notamment Rabat, Salé, Tétouan et Fès. Influencés par les idées européennes sur la nation et le nationalisme, ils pensent le Maroc comme une unité géographique, politique et culturelle : un État-nation. C’est la première fois qu’apparaît une identité intermédiaire entre l’appartenance locale (tribu, localité, région, etc.) et l’appartenance globale (l’islam). Mais tout restait à faire. Il fallait en effet créer ou adopter un certain nombre de concepts, de symboles et d’images pour renforcer ce projet et pouvoir mobiliser la population autour de lui, notamment après les événements qui ont suivi la promulgation du Dahir du 16 mai 1930. Pour des raisons obscures, les jeunes nationalistes ont décidé de centrer la construction idéelle et idéale de la nouvelle nation non sur le folklore, la langue, le caractère ethnique, les valeurs ou l’histoire mais sur la personne du sultan. Ils voulaient probablement déclencher une mobilisation collective qui ne soit pas trop en rupture avec les structures traditionnelles pour ne pas éveiller les soupçons de la Résidence générale, du Makhzen et d’une partie de la population. Ils désiraient également profiter du capital symbolique de l’institution sultanienne pour faire passer leurs messages plus facilement. Mais rien n’est sûr car cette période de balbutiements est caractérisée par beaucoup d’improvisation en raison du niveau intellectuel modeste de la plupart des jeunes nationalistes et de leur inexpérience. Il reste que ces derniers ont choisi de mobiliser la population autour de la figure sultanienne et non autour d’une idéologie plus ou moins élaborée et un projet politique clair.

Attirer la sympathie populaire
Pour catalyser l’imaginaire du plus grand nombre de manière rapide, les jeunes nationalistes, notamment les équipes de la revue Al-Maghrib et du journal L’Action du peuple, décident de célébrer l’accession au pouvoir de Mohammed V (1927-1961), considéré comme le symbole de la souveraineté et de l’unité nationale. Une occasion en or pour rassembler la population autour de sentiments et d’aspirations communes et propager les « idées » nationalistes sans inquiéter les autorités. Cela a été le cas en Égypte, source d’inspiration inépuisable pour les nationalistes marocains, où le parti al-Wafd profitait des célébrations annuelles de l’Aïd al-joulous (Fête du trône en Egypte) instauré en 1923 pour organiser des manifestations publiques exaltant le sentiment national et dénonçant l’occupation. Cependant cette fête est d’origine européenne et plus précisément britannique. Elle a été célébrée pour la première fois au XVIe siècle sous le nom d’Accession Day avant d’être adoptée par la plupart des autres monarchies du monde en l’adaptant peu ou prou aux différents contextes locaux.

En juillet 1933, le nationaliste marocain Mohammed Hassar publie anonymement un article dans la revue Al-Maghrib, publié à Rabat par l’Algérien Missa, intitulé Notre gouvernement et les fêtes musulmanes dans lequel il demande timidement aux autorités françaises de faire du 18 novembre, jour de l’intronisation du sultan, une fête nationale. Quelques mois plus tard, c’est L’Action du peuple, dirigée par Mohammed Hassan Ouazzani, qui prend le relais. Entre septembre et novembre 1933, le journal publie plusieurs articles appelant à faire de ce jour « une fête nationale, populaire et officielle de la nation et de l’État marocains ». Il propose la création de comités d’organisation dans chaque ville et la mise en place d’un fonds de bienfaisance auquel contribuera l’ensemble de la nation. Le journal nationaliste suggère également aux organisateurs d’embellir les rues, de chanter l’hymne sultanien, d’organiser des meetings où l’on prononcera des discours et récitera des poèmes, et d’envoyer des télégrammes de félicitations au sultan. Par ailleurs, pour rassurer les plus conservateurs, L’Action du peuple publie une fatwa du alim Abd El-Hafid El-Fassi qui affirme que ce rituel et tout ce qui l’accompagne ne sont pas des innovations blâmables aux yeux de l’Islam.

Les autorités françaises suivent cette dynamique de très près. Elles ont en effet peur des conséquences politiques que pourrait avoir cette entreprise de mobilisation collective. Elles ont essayé d’entraver, voire d’interdire son organisation. Mais devant l’enthousiasme des jeunes et l’acquiescement des notables, elles finissent par céder. La première célébration de la Fête du trône, dont le nom n’était pas encore bien précis (Fête de l’accession, Fête du sultan, Fête nationale, etc.) a eu lieu à Rabat, Salé, Marrakech et Fès. Plusieurs rues des médinas ont été décorées pour l’occasion, les gens se sont réunis dans les cafés ou maisons de notables pour écouter de la musique, des poèmes et des discours tout en sirotant du thé et dégustant des gâteaux traditionnels. Les réunions se terminaient majoritairement par des invocations pour le Maroc et des vivats au sultan à l’exception de Salé qui a organisé, en plus, un feu d’artifice. Enfin, les jeunes et les notables ont profité de l’occasion pour envoyer des télégrammes de félicitation à Mohammed V.

Bien qu’elle soit restée relativement limitée, la première Fête du trône est une véritable réussite. Elle a en effet attiré la sympathie populaire et acculé l’autorité tutélaire. Cela pousse les nationalistes à voir plus grand l’année suivante. Les préparatifs commencent des mois à l’avance. À cet effet, plusieurs comités d’organisation voient le jour dans les différentes régions de l’Empire chérifien, notamment dans la zone espagnole et des brochures contenant des poèmes et des chants nationalistes sont distribuées aux écoliers et aux jeunes. Des journaux et des revues publient des numéros spéciaux consacrés à l’événement. L’engouement populaire oblige l’autorité tutélaire à agir. Pour reprendre les choses en main, la Résidence générale décide d’officialiserla Fête du trône pour couper l’herbe sous les pieds des nationalistes en voulant faire de ce jour une célébration étatique et non populaire. Le 31 octobre 1934, le vizir El Mokri promulgue un décret dont le premier article stipule qu’« à partir de la présente année, le 18 novembre, anniversaire de l’accession de S.M. le Sultan au Trône de ses ancêtres, sera consacré à la commémoration de cet événement ». Celui-ci aura pour nom Aïd el-tidhkar (l’anniversaire de commémoration). La dénomination Aïd el-aârch ne s’imposera que par la suite. Le reste des articles du décret décrivent avec une certaine précision le rituel qu’il faut observer durant cette journée : chaque pacha doit embellir sa ville ; des groupes de musique doivent jouer dans les souks ; il faudra octroyer des dons aux associations caritatives ; les fonctionnaires bénéficieront d’un jour de congé ; les notables de la ville où se trouvent le sultan devront se rendre au palais pour lui présenter leurs voeux. Par contre, il est strictement interdit de prononcer des discours en public ou d’organiser des cortèges. Il va sans dire que cette dernière partie des directives a été de loin la moins respectée par les nationalistes par la suite. Par ailleurs, il est intéressant de noter que ce rituel ne comporte presque aucun élément traditionnel. Tout est inspiré des usages européens à travers le modèle égyptien.

Le détournement autoritaire
Ainsi, la Fête du trône s’impose très rapidement comme une fête nationale qui exprime haut et fort la naissance de la nation marocaine. C’est la première fois qu’un sentiment, que l’on peut appeler « marocanité », émerge et fait de cette fête un moment privilégié de mobilisation populaire contre la puissance coloniale même après l’exil du sultan et l’interdiction de sa célébration le 5 septembre 1953.

Après l’Indépendance, la figure du roi prend beaucoup d’importance jusqu’à éclipser celle de la nation. Le premier « amalgame » symbolique est la confusion délibérée entre la Fête du trône et la Fête de l’Indépendance, célébrées toutes les deux le 18 novembre alors que la date de la fin réelle de l’occupation est le 2 mars. La tendance s’accélère après l’arrivée au pouvoir de Hassan II pour des raisons subjectives et objectives. En effet, l’apparition d’un mouvement de contestation « moderniste » pousse le roi à « traditionnaliser » à nouveau l’institution monarchique et ses outils de légitimation pour se rapprocher des élites traditionnelles. Il faut ajouter à cela la personnalité du monarque qui aspirait à reproduire le modèle absolutiste français. Ce changement de cap devait s’exprimer rituellement, notamment à travers le détournement de la Fête du trône. D’un rituel de consensus, cette célébration se transforme progressivement en un rituel d’affrontement où le roi cherche à exprimer symboliquement sa centralité et son hyper puissance. En d’autres termes, le 3 mars – date d’accession au pourvoir d’Hassan II – devient un moment d’autocélébration monarchique. Petit à petit, sa signification originelle s’évanouit de la mémoire collective.

Rituel étatique et issue du Palais, la Fête du trône conçue par et pour Hassan II est composée de plusieurs cérémonies d’origines musulmanes et européennes dont l’objectif est de délivrer des messages politiques et exprimer les hiérarchies sociopolitiques. Si la cérémonie d’allégeance est la plus célèbre et la plus spectaculaire, il ne faut pas omettre l’importance symbolique du discours royal, de la cérémonie de prestation de serment par les officiers, nouveaux lauréats des différentes écoles militaires et paramilitaires et de la cérémonie de remise de décorations à des personnalités locales et internationales. Par ailleurs, on assiste durant ces autocélébrations à des flux de dons matériels et immatériels (la grâce royale par exemple) dans un souci apparent, mais sans doute inconscient, de concurrencer les fêtes religieuses qui restent très populaires. Les médias officiels et officieux quant à eux ne ménagent aucun effort pour dresser un tableau radieux de l’ère royale. Le discours royal suit généralement un canevas bien précis : rappel de l’unité entre la monarchie et le peuple, le combat de Mohammed V et Hassan II pour libérer et unifier le pays ; passage en revue des réalisations de l’année ; présentation des principaux chantiers politiques, économiques et sociaux ; directives générales au gouvernement pour améliorer la vie des sujets ; précision des règles du jeu politique national si cela est nécessaire. En somme, le monarque donne à voir qu’il est seul à contrôler le temps politique au Maroc.

Une entité transcendante
En bon autocrate, le monarque sait se servir des récompenses publiques pour circonvenir ou neutraliser certaines « élites ». Cette pratique s’inspire de l’oeuvre de Napoléon Bonaparte qui a créé la légion d’honneur pour coopter et amadouer les élites françaises. Durant une cérémonie pompeuse, le roi remet des décorations de différents ordres à des artistes, intellectuels, politiciens, religieux, etc. Mais les critères de sélection et les motifs d’attribution sont loin d’être clairs. Dans les systèmes autoritaires, le chef essaie toujours de montrer qu’il dispose du soutien indéfectible des forces militaires et paramilitaires en tant qu’outil de domination par excellence.

Cela se traduit rituellement au Maroc par l’organisation d’une cérémonie à l’occasion de la Fête du trône durant laquelle les nouveaux lauréats des différentes écoles de l’armée prêtent serment de fidélité directement au monarque. Le message est clair : les troupes ont un seul et unique chef. Par ailleurs, les officiers supérieurs respectent, eux, un protocole rigide en présence du roi, notamment après les tentatives de coup d’État de 1971 et 1972. Ils doivent montrer encore plus que les autres dignitaires une soumission absolue durant les manifestations publiques, dont la Fête du trône.

Cela dit, la cérémonie d’allégeance est sans aucun doute le clou du spectacle. Inspirée intégralement de la cérémonie de renouvellement du serment de fidélité mise en place par le sultan Ahmed El Mansour au XVIe siècle, elle confronte le monarque à ceux qu’il considère comme ses serviteurs les plus fidèles : les hauts fonctionnaires du ministère de l’Intérieur. Toutes les autres composantes de l’élite sont de simples spectateurs. Tout dans cette cérémonie magnifiée tend à montrer une nouvelle fois la figure du roi comme une entité transcendante, à la fois au centre et au-dessus de l’espace social marocain.

En effet, les habits d’apparat, les insignes du pouvoir et la musique solennelle qui accompagnent le cortège royal tendent à prouver qu’il est le porteur de l’histoire sacrée de la cité musulmane et le garant de sa continuité et de sa stabilité. Les costumes traditionnels blancs et identiques que portent les dignitaires de l’Intérieur démontrent que dans ce laps de temps « sacré » les hiérarchies et les différences s’effacent pour révéler au grand jour un corps uni et homogène derrière et autour de son chef.

La liturgie politique proprement dite démarre quand le cortège commence à franchir les groupes de dignitaires rassemblés par région. Alors qu’un mkhazni scande des formules patriarcales exprimant la bénédiction et la satisfaction du souverain, les dignitaires lui souhaitent longue vie tout en se prosternant religieusement à plusieurs reprises. Le déploiement de la grâce du souverain – au sens de baraka et de niaâma – pôle autour duquel tout tourne dans le Royaume, nécessite en effet une obéissance et une soumission absolues de ses affidés. Une analogie frappante avec certains rituels religieux qui animent encore aujourd’hui les arcanes du pouvoir au Maroc.

Source : Zamane

La saga de la presse marocaine

Zamane

Publié le 14/12/2012 par la Revue Zamane

La saga de la presse marocaine

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De l’aube des années 1930 jusqu’à l’Indépendance, la presse nationaliste joue un rôle majeur mais sous-estimé dans l’histoire du pays. Le combat des plumes fait rage et les jeunes journalistes marocains deviennent le fer de lance du mouvement nationaliste.

Le départ du maréchal Lyautey et la fin de la guerre du Rif inaugurent la véritable naissance de la presse nationaliste. Il paraît désormais évident que la lutte pour la dignité des Marocains (et non pas encore pour l’indépendance) ne peut se faire par la force. Durant les années 1920, quelques érudits de l’Université de la Qaraouiyine de Fès ont bien tenté de faire passer des messages sur des manuscrits clandestins. Des publications archaïques du nom d’Al-Watan (la patrie), Al-Qati (l’épée tranchante) ou Al-Madrasa (l’école), sont passées entre les mains d’une élite lettrée et religieuse, frustrée de ne pas pouvoir faire circuler sa pensée. La presse structurée doit devenir la nouvelle arme d’un mouvement national naissant. Elle permet de rendre plus audible la déception des Marocains, pour qui le traité de protectorat aurait dû permettre des réformes à même de développer le pays et d’en faire profiter sa population. Or, le protectorat ressemble de plus en plus à une colonisation dans les règles, à savoir l’exploitation des ressources humaines et naturelles du Maroc. Néanmoins, la chape de plomb imposée par l’ancien Résident général a toutes les raisons de s’assouplir. En métropole, avec la crise économique de 1929, le vent politique semble s’orienter à gauche et le nouvel homme fort du Maroc, Théodore Steeg, est un civil protestant, membre du parti radical-socialiste.

Les premiers pas dans l’ombre

En attendant des gestes d’ouverture concrets, quelques organes de presse s’agitent pour rappeler à la France sa vocation à défendre les droits de l’homme et, de fait, la liberté d’expression. C’est le cas d’abord de quelques supports français du Maroc qui osent, pour la première fois, s’exprimer sur le sort des « indigènes » et bousculer le pouvoir en place. Il s’agit notamment de l’hebdomadaire Redd-Balek, fondé en 1927 et qui se réclame de la SFIO (Section française de l’internationale ouvrière, ancêtre du Parti socialiste). Son nom (« prends garde », en darija) résonne comme une menace et reflète la virulence dont est capable l’hebdomadaire, interdit d’ailleurs au bout de quelques numéros. D’autres médias s’intéressent également au sort des Marocains, surtout au début des années 1930 et à la promulgation du dahir berbère. Ainsi, la presse arabe étrangère, qui trouve un large écho auprès des élites marocaines, s’offusque d’une nouvelle orientation de « la politique berbère », sujet hautement sensible. Le leader panarabe Chakib Arsalan accorde à ce combat une large place dans les colonnes de sa revue La Nation Arabe, en 1930 : « La plus sacrée des libertés, c’est la liberté des consciences et des croyances ; la plus grande atteinte qui ait été portée à cette liberté en ces derniers temps se trouve dans les agissements de la France au Maroc. Elle veut contraindre tout un peuple à abandonner sa foi pour embrasser le christianisme ».

Les nationalistes marocains ne possèdent à cette époque aucun moyen autonome de publication. Le dahir de la presse de 1914 exige que les directeurs de publication soient de nationalité française. Seules deux solutions sont désormais à disposition des nationalistes. Soit le parrainage par un Français sensible à leur cause, soit la clandestinité. Le jeune Saïd Hajji, seize ans à peine, choisit la seconde option dès 1929 et publie un audacieux hebdomadaire manuscrit en arabe, Al-Widad, distribué dans l’ombre des ruelles de médinas. Le 8 janvier de la même année, on pouvait y lire : « Ce journal a été créé pour combattre le colonialisme et l’esclavage. Chaque Marocain sera condamné à être anéanti s’il ne se réveille pas sur le champ et n’adopte la devise : la mort si nécessaire et que vive le Maroc ! ». L’insolence de Saïd Hajji reste un cas unique avant 1930 et ne reflète en rien l’action des penseurs du nationalisme marocain. Mais cette approche radicale ouvre le champ de la protestation par la presse, même si cette dernière ne représente encore aucune menace sérieuse pour le protectorat. Mais ce n’est qu’une question de temps…

Maghreb, une presse nationaliste officielle

Quelques années plus tard, Mohamed Hassan Ouazzani, figure emblématique du nationalisme marocain, âgé d’à peine 23 ans, mise sur un journalisme engagé pour rappeler à la France son devoir de réforme et de modernisation du royaume. L’idée de créer un support de presse officiel ne peut s’appliquer qu’avec l’aide d’un citoyen français qui s’engagerait à en devenir le rédacteur en chef. Robert-Jean Longuet, avocat du nationaliste Ahmed Djebli Aydouni, semble présenter le profil idéal. Ce militant socialiste, arrière-petit-fils de Karl Marx, connaît bien le Maroc et se lie rapidement à la cause des militants nationalistes. La revue Maghreb est fondée par les deux hommes, avec le concours de Omar Ben Abd-el-Jalil et surtout de Ahmed Balafrej, qui en devient l’un des rédacteurs les plus prolifiques. Il est décidé que ce mensuel sera imprimé à Paris afin de contourner les éventuelles censures de la Résidence.

En juillet 1932, la bande de Maghreb lance le premier numéro et y explique les objectifs : « Nous poursuivons un double but : rendre à ce peuple une autonomie qui lui a été garantie par un traité au bas duquel nous avons apposé notre signature, et sauvegarder l’honneur de la vraie France, généreuse, laïque et républicaine ». Maghreb traite des problèmes auxquels sont confrontés les Maghrébins en accordant toutefois une très large place au Maroc. Le mensuel s’affirme comme la tribune idéale pour toutes les plumes françaises et marocaines qui s’indignent du traitement réservé à la population du royaume, en s’attardant notamment sur l’impact négatif du dahir berbère. Mohamed Hassan Ouazzani, étroitement surveillé par les agents de la Résidence au moment du lancement de Maghreb, doit ruser pour se rendre à Paris. Il obtient, grâce à la complicité d’un ancien professeur, une fausse convocation pour passer des examens dans la capitale. Une fois sur place, il choisit l’exil à Genève pour coordonner la revue et écrire ses articles, à l’abri des pressions françaises.

La Résidence contre-attaque

Le 9 juillet 1933, à l’occasion du premier anniversaire de la création de la revue Maghreb, Omar Ben Abd-el-Jalil annonce l’apparition d’un nouveau-né dans la presse nationaliste, l’hebdomadaire francophone L’Action du Peuple, édité et imprimé à Fès. Désireux de lancer une publication nationaliste au Maroc, Mohamed Hassan Ouazzani fait appel à un Français converti à l’islam, Georges Hertz, pour en prendre la direction légale. Dans le sillage de son aîné Maghreb, L’Action du Peuple gagne rapidement en popularité et son tirage, initialement de 400 exemplaires, explose au fil des numéros. Outre les autorités du protectorat, tout le monde au Maroc ne voit pas d’un bon œil les succès de Maghreb et de L’Action du Peuple. Le courant nationaliste traditionnel issu des grandes universités arabes ne conçoit pas d’opposer une quelconque résistance dans la langue de l’occupant. Pourtant, les deux titres phares sont parfois clandestinement traduits en arabe, afin d’élargir la sphère du lectorat.

Cette popularité commence à inquiéter la Résidence, qui promeut la naissance d’un concurrent direct pour contrecarrer le succès de la nouvelle publication. Ainsi naît le journal La France au Maroc. La Résidence pousse le cynisme jusqu’à placer à sa tête un certain Chahid El-Ouazzani, homonyme du nationaliste Mohamed Hassan Ouazzani. Le premier numéro tente de jouer sur la légitimité de la publication : La France au Maroc se veut « l’organe de tous les Marocains disposés à collaborer loyalement avec le régime qui nous a apporté la paix et la prospérité dans le cadre même de nos institutions ». Mais les journalistes marocains qui y sont employés s’aperçoivent de la manipulation et ne peuvent l’assumer. Peu crédible, La France au Maroc fait naufrage et laisse la place à des mesures de rétorsion bien plus efficaces.

Interdits et censures

En autorisant la presse nationaliste d’expression francophone, la Résidence se croit à l’abri de la mobilisation de masse. Le succès populaire, dû essentiellement aux efforts de traduction clandestine, la pousse à réviser sa position, comme l’atteste une note du directeur des Affaires indigènes en 1934 : « Il n’a servi à rien d’interdire l’entrée au Maroc aux journaux hostiles de l’Orient, puis à Maghreb et de refuser toute autorisation de publication arabe au Maroc. Un journal est né sous la protection d’une loi de presse libérale ; il est né en français et a de nombreux lecteurs, beaucoup plus qu’on n’attendait pour une feuille arabe ». La goutte d’eau qui fait déborder le vase est certainement le traitement réservé par L’Action du Peuple à la visite du sultan Ben Youssef à Fès. En titrant en Une « Fès acclame les souverains marocains », le périodique fait pour la première fois du sultan le véritable symbole de l’union des Marocains et de la cause nationaliste. C’en est trop pour la Résidence, consciente du risque que représente la « rébellion » de Mohammed Ben Youssef. En mai 1934, les autorités françaises durcissent sérieusement le ton en interdisant l’entrée et la diffusion au Maroc de la « presse non conformiste ». Dans un ultime éditorial, Maghreb ironise : « Depuis huit mois, nous ne cessons de publier des faits précis, de documenter les Français sur ce que l’on commet en leur nom, au Maroc. […] Il n’en fallait pas plus pour soulever contre nous toute la presse réactionnaire. Comment ! Nous avons osé en France, à Paris même, donner aux crapuleries, petites ou grandes, une publicité qui dépasse les frontières du Maroc. Nous ne pouvons être que des anti-Français, aidés par l’œil de Moscou et la main de l’Allemagne ». L’interdit et le harcèlement des journalistes nationalistes vont perdurer encore deux ans, jusqu’à l’arrivée au pouvoir en France du Front Populaire, dans lequel beaucoup d’espoirs sont placés.

Le renouveau des valeurs libérales et égalitaires socialistes favorise le retour de la presse nationaliste et l’allègement des contraintes qui pèsent sur elle. L’arrestation de certains leaders, dont Mohamed Hassan Ouazzani, et la répression policière des manifestations en faveur de la liberté de la presse troublent les sensibilités de gauche et accélèrent la normalisation. Au début de l’année 1937, plusieurs périodiques marocains en arabe sont (enfin) autorisés, tels que Al-Atlas (dans la mouvance de Allal El Fassi), Al-Maghrib ou encore Al-Amal. En attendant la Seconde guerre mondiale et le système de censure généralisé (non spécifique au Maroc), la presse nationaliste francophone en profite pour refaire surface. L’Action du Peuple ressuscite en avril 1937, accompagné de périodiques d’autres tendances nationalistes comme L’Action Populaire, proche de Allal El Fassi et défini comme étant l’« organe hebdomadaire du Parti d’action marocaine ».

Dernière ligne droite

Quant à Maghreb, il reprend également du service, bien que le mensuel prenne une tournure plus littéraire que journalistique. Bien entendu, ce vent de liberté est régulièrement sujet à la censure, pratique assumée par la Résidence et acceptée par la presse nationaliste qui se réjouit simplement de pouvoir exister. Avec le début de la Seconde guerre mondiale, le champ des libertés se réduit comme peau de chagrin. La presse est soumise au diktat militaire et les nationalistes ne sont plus les bienvenus dans les imprimeries. Ils privilégient dès lors d’autres moyens d’action, tels que la publication de manifestes et la mobilisation de la rue. Les journaux français du Maroc se consacrent quasi exclusivement aux péripéties de la guerre et se rangent d’abord du côté de Vichy, puis de celui du général de Gaulle. L’espoir suscité dans les milieux nationalistes à la fin du conflit mondial est rapidement balayé par les nominations successives des généraux Juin puis Guillaume. Bien que reprenant leurs activités, les journalistes sont systématiquement soumis à la censure, preuve de la fébrilité de la Résidence, qui sent que le Maroc est en train de lui échapper.
Comme un baroud d’honneur, tous les efforts sont déployés pour multiplier les titres des groupes de presse français du Maroc, réactionnaires et virulents, hostiles aux nationalistes et aux libéraux français. Complètement interdite en décembre 1952, la presse nationaliste passe le relais à des publications françaises de courant libéral, avec à leur tête des figures comme Jacques Lemaigre-Dubreuil, patron du groupe Maroc-Presse, qui perdra d’ailleurs la vie à cause de son engagement en faveur de l’émancipation des Marocains. La fin du Protectorat change la donne, mais l’indépendance, puis le règne de Hassan II, ne soulageront pas la presse marocaine de ses tourments, bien au contraire…

Saïd Hajji, le génie précoce de la presse

Arrière-petit-fils du combattant Sidi Ahmed Hajji, libérateur de Mehdiya arrachée aux Espagnols au XVIIe siècle, Saïd Hajji a le patriotisme dans le sang. Ce génie précoce, qui s’est très tôt servi de la presse comme d’une arme anti-colonisation, peut être considéré comme le premier journaliste du Maroc. Son parcours est aussi fulgurant que brillant. Née le 2 mars 1912 à Salé, soit quatre semaines avant le Traité de Fès, son destin est de résister par l’écriture, alors que la seule façon connue de l’époque est celle de la lutte armée.  C’est ainsi qu’à l’âge de 16 ans, il confectionne par ses propres moyens un journal arabophone clandestin, Al-Widad, dont il écrit à la main chaque exemplaire, soit quelques centaines au total. Une  expérience qui lui attire une première réaction de méfiance de la part de la Résidence. A la parution du dahir berbère, il s’insurge publiquement et se voit immédiatement sanctionné d’une interdiction de quitter le territoire marocain. Saïd Hajji s’exile alors clandestinement au Moyen-Orient où, en parallèle de ses études, il milite activement pour la cause marocaine. Il parvient à susciter la sympathie de Chakib Arsalan, qui le prend sous son aile. Le jeune journaliste aiguise sa plume et affine ses arguments de lutte contre l’oppression. A son retour au Maroc, en 1935, Saïd Hajji devient une figure incontournable du mouvement nationaliste naissant. A cette époque de restriction, il est pionnier en matière de revendication du droit à la liberté de la presse. Il s’adresse plusieurs fois aux autorités de métropole et obtient une première victoire lorsque le Front Populaire assouplit la législation dans ce domaine. Saïd Hajji se rue sur l’occasion est fonde le journal politique arabophone Al-Maghrib,  en 1937. Ce dernier connaît un succès inégalé mais est sévèrement soumis à la censure. Le 2 mars 1942, soit 30 ans jour pour jour après sa naissance, Saïd Hajji meurt soudainement à la suite d’une maladie. Le choc est immense, le mouvement national est en deuil. Le génie précoce mérite bien son surnom de Sa Majesté de la presse.

Source : Zamane

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A l’école du nationalisme

Zamane

Publié le 5/12/2012 par la Revue Zamane

A l’école du nationalisme

Par Mohammed Bekraoui*

Les jeunes Marocains partis étudier en France dans les années 1930 ont joué un rôle essentiel dans la lutte pour la libération du pays. Les mouvements qu’ils ont créés ont fait émerger les futures grandes figures politiques du Maroc indépendant.

Mohamed Hassan Ouazzani, Ahmed Balafrej, Mohamed El Fassi… la plupart des hérauts de la lutte pour l’indépendance ont affûté leur engagement durant leurs années d’études en France. Pourtant, aucune recherche universitaire n’a jamais été consacrée aux mouvements d’étudiants marocains, encore moins à la manière dont ils ont contribué à la libération du pays. Il faut dire que pendant l’entre-deux-guerres, il y avait peu d’associations d’élèves et d’étudiants, bien qu’elles aient été assez actives. Les quelques organisations autorisées par les autorités protectri­ces le furent pour être mieux contrôlées, telles que les amicales d’anciens élèves des collèges Moulay Idriss de Fès et Moulay Youssef de Rabat, par exemple.

Passe ton bac d’abord

Jusqu’à la fin de la Seconde guerre mondiale, le Maroc ne compte aucun établissement d’enseignement secondaire à part ces deux seuls collèges et, pour ainsi dire, aucune université moderne, ni aucun établissement d’enseignement supérieur, à l’exception de la Qaraouiyine. Par ailleurs, la politique du protectorat en matière d’éducation, élitiste et discriminatoire à l’égard des « indigènes », aggrave la discrimination entre enseignement officiel et celui de la Qaraouiyine. Le nombre d’étudiants marocains reste donc faible. À ces difficultés, s’ajoutent les restrictions et limita­tions apportées par les autorités protectrices aux libertés pu­bliques, d’association notamment.

Rien d’étonnant, donc, à ce que les élèves et étudiants ma­rocains partent s’instruire à l’étranger, en métropole sur­tout, où ils vont contribuer à la création d’associations d’étudiants, notamment l’Association des étudiants musulmans nord-africains (AEMNA).

Les premiers jeunes Marocains venus achever leurs études en France sont d’anciens élèves des « écoles de fils de notables », comme on les appelle alors officiellement, auxquels Lyautey accorde toute son attention, car il veut en faire « une élite apte à s’associer à nous et à former la substance vivante du personnel du protectorat », témoigne son neveu Pierre Lyautey dans Lyautey l’Africain. Les meilleurs éléments sont dirigés, à partir de 1914, vers les collèges Moulay Idriss de Fès et Moulay Youssef de Rabat, où l’enseignement dispense une double culture. Ces deux établissements fournissent la majorité des premiers élèves arrivés en métropole. Créés par Lyautey pour dispenser un enseignement moderne aux fils de familles bourgeoises, ces collèges ne préparent cependant pas au baccalauréat et n’offrent, par conséquent, aucun débouché. Ce qui n’est pas le cas des lycées français, vers lesquels les convoitises vont se tourner. En effet, après l’échec du mouvement ri­fain, les réticences des Marocains vis-à-vis de l’enseignement fran­çais s’atténuent peu à peu, surtout dans les grandes villes. Les jeunes élèves commencent alors à affluer vers les écoles, collèges et lycées français, qui dispensent un enseignement de meilleure qualité et pré­parent surtout au baccalauréat, qui ouvre la porte des universités et des grandes écoles de la métropole. Mais ces établissements ne sont pas ouverts à tous les Marocains. On permet, toutefois, à quelques fils de notables de s’inscrire au lycée Gouraud de Rabat.

Point trop n’en faut

En 1927-28, se produit donc une véritable « course au lycée », bien que l’admission soit soumise à une autorisation politique spéciale très sévère. Dans une lettre au proviseur du lycée français de Fès (Moulay Slimane), relative à l’admission des élèves autochtones, le directeur général de l’Instruction publique lui rappelle que « compte tenu de la situation particulière de la ville de Fès, j’ai dé­cidé que chaque demande d’admission d’un élève indigène musul­man devrait faire l’objet d’une étude et d’une enquête particulières. L’admission ne pourra être prononcée que sur ma pro­pre déci­sion… ». Un véritable blocus culturel est ainsi imposé à la ville de Fès. En juin 1929, le nombre total des jeunes élè­ves fréquentant les lycées français du pays est estimé à 86 seulement. En 1936, ce nombre croît légèrement et atteint 273, mais reste dérisoire comparé aux 7778 élèves européens. C’est pourquoi les familles aisées préfèrent envoyer leurs enfants s’instruire à l’étranger.

Il faut rappeler qu’à cette époque, au Maroc, il n’existe aucun enseignement supé­rieur moderne digne de ce nom. On a créé, il est vrai, un Institut des hautes études marocaines à Rabat, mais il ne dispense pas un ensei­gnement supérieur vérita­ble et vise surtout à éviter aux Marocains de se rendre à l’étranger et d’y acquérir des idées « subversives ». L’administration use, en effet, de tous les moyens pour empêcher élèves et étudiants de partir étudier à l’étranger. Mohamed Hassan Ouazzani rapporte que Brunot, directeur de l’Instruction publique, exerce toutes sortes de pressions sur les parents, accusant les étudiants de renier leur région, leurs coutumes. De plus, les jeunes étudiants « se voyaient toujours refuser leur passeport », af­firme Ouazzani (in Moudakkirat hayat Wa Jihad, 1982). A ces obstacles, s’ajoute le coût très élevé des études en France, surtout que très peu de bourses sont accordées. En 1937, Le Bulletin économique du Maroc indique que « depuis dix ans, 8 étudiants marocains ont béné­ficié de bourses dans les établissements d’enseignement supé­rieur métropolitain ».

Par conséquent, seules cer­taines familles aisées parviennent à envoyer leurs fils poursuivre leurs études dans les universités françaises et arabes du Proche-Orient : Le Caire, Damas, Beyrouth… La plupart des étudiants sont en effet issus de familles riches et citadines, origi­naires exclusivement des villes traditionnelles : Rabat-Salé, Fès, Meknès, Marrakech. Ils sont généralement fils de négociants, de hauts fonctionnai­res du Makhzen, ou encore de caïds, de grands propriétaires, de fonctionnaires, etc. Les filières choisies sont principalement celles qui permettent l’accès à des fonctions libérales telles que médecin, avocat, ingénieur, pro­fesseur. Parmi ces étudiants, citons Omar Ben Abdeljalil, qui entre à l’Ecole nationale d’agriculture de Montpel­lier où il passera deux ans. En 1925, il est rejoint en France par son frère, qui s’inscrit à la Sorbonne. Il s’agit de Mohammed Ben Abdeljalil, qui avait fait partie du premier voyage en France d’étudiants marocains orga­nisé par Lyautey, en 1922, et qui se convertira au catholicisme en 1928. Quant à Thami Al Moqri, il poursuit des études agricoles en Suisse et Jebli Idouni est le premier médecin maro­cain diplômé de Paris. Nous ne disposons pas de renseignements, ni de chiffres sur les autres étudiants qui ont poursuivi des études en métropole, ainsi que dans les autres pays européens. Nous savons, par exem­ple, que des fils de parents protégés ont fait des études en Angle­terre, en Suisse, en Belgique, mais il est très difficile de connaître leur nombre et la nature de leurs études.

En route pour la France

À partir de 1927, l’émigration estudiantine marocaine vers la métropole s’accélère. Mais la conversion au catholicisme de Mohamed Ben Abdel­jalil et l’agitation provoquée par la promulgation du dahir sur la justice en pays berbère, en 1930, va ralentir le mouvement des dé­parts vers la métropole, qui ne reprendra qu’à partir de 1931. D’après les archives du Quai d’Or­say et selon le témoignage de Mohamed Hassan Ouazzani, on sait qu’en 1933 une quarantaine d’étudiants et de lycéens poursuivent leurs études à Paris, sans compter ceux qui étudient en province. Cependant, ce nombre reste faible comparé à celui des autres étudiants maghrébins et ara­bes.

En arrivant à Paris, les étudiants marocains découvrent un univers intellectuel et artis­tique entièrement nouveau pour eux. Les courants de pen­sée moderniste qui agitent le monde au lendemain du premier conflit mondial, les principes de la démocratie universelle et libé­rale, les principes d’autodétermination développent chez eux des sentiments anti-coloniaux et un esprit critique. Ces idées nouvel­les ont une grande influence sur leur sentiment de dignité et de liberté. Il y a aussi les contacts fréquents avec les autres étudiants, aussi bien métropolitains qu’étrangers venus des quatre coins de l’empire colonial français, notamment les Tunisiens, les Egyptiens, les Sy­riens, etc., dont certains joueront un rôle important dans les mouve­ments nationaux de leur pays, comme par exemple Habib Bourguiba, Mongi Slim, Hédi Nouira. Les étudiants marocains nouent de solides amitiés avec les hom­mes politi­ques français de gauche et les militants syndicalistes, par­tici­pent à leur débats anti-coloniaux, aux meetings, collaborent à des journaux et des revues, tels que Maghreb. « Le quartier Latin con­tribua à la culture politique des Maghrébins dans une proportion considé­rable négligée par les historiens », souligne l’historien Charles-André Julien (in Le Maroc face aux impérialismes, 1978). L’impact de la culture et de l’école françaises, que tous ces étudiants ont subi, a fait naître en eux un « éga­litarisme libertaire et laïcisant », mais n’a pas effacé totalement l’héritage culturel religieux islamique commun.

Le 27 décembre 1927, l’Association des étudiants musulmans nord-africains (AEMNA) est créée à l’initiative de deux étudiants tunisiens, Chadly Khairallah et Ahmed Ben Milad, et des Marocains Mohamed Hassan Ouazzani, Ahmed Balafrej et Mohamed El Fassi. Elle regroupe une centaine de membres dans la région pari­sienne et environ 200 dans les trois pays maghrébins. Son siège, d’abord installé dans un café situé sur le boulevard Saint-Ger­main, sera transféré rue Rollin, dans le quartier Latin.

Etudiants du Maghreb, unissez-vous !

L’association compte une section tunisienne, ma­rocaine et algérienne, mais la majorité de ses membres sont d’origine tunisienne. Sa création coïncide avec le passage d’une forme armée, tribale et locale de l’action nationale à une lutte politique active à l’intérieur des pays maghrébins. Néanmoins, dans un premier temps, les objectifs de l’association sont plus d’ordre culturel et social que politiques. L’AEMNA se propose de « resserrer les liens d’amitié et de solidarité entre ses membres », d’« encourager leurs compatriotes à venir poursuivre leurs étu­des en France » et de « faciliter leur séjour en France par la création de bourses et de prêts d’honneur et la fondation d’une maison de l’étu­diant », ainsi que le précisent ses statuts.

Les premières revendications de l’association portent surtout sur la modernisation du système éducatif et des programmes d’études, le statut de l’arabe dans l’enseignement, la réforme de l’enseigne­ment religieux, notamment de la Qaraouiyine et de la Zi­touna (Tunis), et sur l’éducation de la femme musulmane. Ce n’est que par la suite, après 1930, qu’apparaîtra l’aspiration à l’indépendance et à l’unité maghrébine. Pour atteindre leurs objectifs, les étudiants publient livres et périodiques et organisent divers colloques, débats, séminaires, causeries ou réunions. Parmi les activités culturelles, les conférences tien­nent une place de choix. En principe hebdomadaires, elles sont des­tinées à faire mieux connaître aux étudiants les « grands faits de la civilisation arabo-islamique » et à leur don­ner l’occasion de se rencontrer et d’échanger des idées.

La vie associative amène cependant bien vite les étudiants à l’engagement politique. Lors de sa constitution, l’AEMNA avait manifesté son intention de s’abstenir de toute activité politi­que. Mais certains étudiants, dont Chadly Khaï­rallah, président du premier bureau de l’association, Ahmad Ben Milad, secrétaire général, Mohamed Hassan Ouazzani ou encore Ahmed Bala­frej, ainsi que des étudiants algériens, se sont affiliés à l’Étoile nord­-africaine (ENA), une organisation algérienne sou­tenue par le Parti communiste français (PCF). L’ENA organise une série de meetings, de manifestations et de réunions publi­ques au cours desquelles les orateurs ne tardent pas à demander la suppres­sion du Code de l’indigénat en Algérie et l’indépendance des trois pays maghrébins. Selon l’historien Omar Carlier, l’ENA « est la première organisation politique algérienne à revendiquer ouver­tement l’indépendance de l’Algérie et de tous les pays du Ma­g­hreb ».

Les étudiants en profitent pour intensifier leur propagande poli­tique : réunions, tracts et articles de presse, qui visent surtout à toucher la main-d’œuvre nord-africaine employée dans la région parisienne. En 1928, les activités de l’AEMNA demeurent discrè­tes. L’année suivante, l’ENA est dissoute, en même temps qu’une mesure d’expulsion est prise contre Chadly, qui doit regagner la Tunisie. Début 1930, l’association manifeste ouvertement ses tendances politiques en décidant d’exclure les membres naturalisés français. La section algérienne de l’AEMNA, ayant en effet réclamé la qualité de citoyen français pour les Algériens à l’occasion du centenaire de l’Algérie, les sections marocaine et tunisienne se sont désolidari­sées d’elle. Cette mesure provoque le départ de la plupart des étudiants algériens qui fondent leur propre organisation. Seuls quelques étudiants constantinois continuent à faire partie de l’AEMNA. Dès lors, « l’Association prit dans le vocabulaire du quartier Latin, le nom d’association nationaliste », précise un rapport officiel de l’époque, conservé dans les archives du ministère des Affaires étrangères.

Des étudiants aux ouvriers

1930, c’est aussi le moment où quelques étudiants achèvent leurs études supé­rieures en France et rentrent au Maroc. Mais au lieu de mettre en confiance cette jeunesse instruite en lui confiant certains emplois, même subalternes, en l’orientant et en la conseillant, au contraire on la tient systématiquement à l’écart des affaires de son pays. On la marginalise, on la fait taire à tout prix. Profondément déçus, les jeunes diplômés attendent l’occasion d’exprimer ouvertement leur colère, leur indignation et leur frustration. Le gouvernement du protectorat ne va pas tar­der à la leur fournir en publiant le fameux Dahir berbère, le 16 mai 1930, qui va cristalliser toutes les tendances nationalistes. En métropole, le mouvement étudiant se radicalise et entraîne un regain d’activités de l’AEMNA. Réunions publiques et meetings s’enchaînent. Un vaste mouvement de protestation est lancé contre le Dahir berbère. L’AEMNA effectue des dé­marches auprès d’un grand nombre de personnalités politiques de gauche afin d’agir sur l’opinion publique française et publie des articles dans Maghreb qui condamnent les abus des autorités protectrices. En outre, les relations des étudiants marocains avec Chakib Arsalane, l’émir druze panarabe, ayant toujours été très étroites, le Dahir berbère fournit l’occasion à ce grand leader d’intervenir dans les affaires marocai­nes à l’initiative de Ahmed Balafrej et Mohamed El Fassi.

C’est à ce moment aussi qu’éclatent de violentes manifestations de rues dans les principales villes maro­cai­nes, au cours desquelles de nombreux nationalistes sont arrê­tés, dont Mohamed Hassan Ouazzani. Les étudiants comprennent, bien vite, tout l’intérêt qu’il y a à agir sur la masse des tra­vailleurs émigrés à Paris et dans sa banlieue, et à essayer de les encadrer. Début mai 1935, l’Association de bienfaisance de l’ouvrier marocain est créée à Gen­nevilliers par quelques intellectuels marocains. Ses statuts ont été élaborés et discutés lors du passage de Mohamed Hassan Ouazzani à Paris, en septembre 1934. Son prin­cipal objectif consiste à « apporter son secours, dans les limites de ses possibilités, à tous les Marocains dont la situation sera jugée pré­caire », comme le précisent ses statuts. Cette association s’interdit, en principe, toute activité politique. Mais, juste après sa constitution, elle « lança une protestation au nom des travailleurs contre le Dahir berbère. Ce pro­jet aurait été conçu par Mohamed Hassan Ouazzani lors de son pas­sage à Paris », souligne un rapport de police. Le rôle des étu­diants est donc fondamental dans l’éveil des esprits et de la conscience politique des travailleurs marocains émigrés. Et les activités politiques de l’AEMNA ne tardent pas à in­quiéter vivement les autorités françaises, à tel point que le préfet de police propose au ministre de l’Intérieur de la dissoudre, si l’on en croit un rapport de police datant de 1935. De même, l’administration a interdit, en 1933 et 1936, deux des congrès que l’AEMNA avait pris l’habitude de tenir chaque année à partir de 1931 dans l’un des trois pays maghrébins.

Les intellectuels bourgeois marocains de formation française étaient peu nombreux : on peut estimer leur effectif à une centaine à la veille de la Seconde guerre mondiale. Le mouvement étudiant marocain n’en a pas moins été une composante fondamentale du mouvement de lutte pour la libération nationale. L’historien Roger Le Tourneau, observateur avisé et perspicace, témoin des premières manifestations nationalistes, observe : « Ce mouvement ne fut pas au départ une poussée populaire mais bien une réaction d’intellectuels, et presque toujours de jeunes intellectuels » (in Histoire du Maroc moderne, 1992). Parmi eux, trois ont joué un rôle déter­minant dès les débuts du mouvement nationaliste : deux de Fès, Mohamed Hassan Ouazzani et Omar Ben Abdeljalil, et le troisième de Ra­bat, Ahmed Balafrej. En 1921, Georges Hardy, directeur de l’Instruction publi­que, prédisait dans une note sur « l’enseignement indigène » que c’est des rangs des enfants originaires des classes pauvres des villes, de la plèbe, « c’est d’eux, plus encore que des rangs de la bourgeoisie que sortiront les jeunes turbans hostiles à notre domina­tion ». Les faits ont démontré le contraire.

Lyautey avait les étudiants à l’œil

Le premier séjour d’étudiants marocains en France re­monte à la fin du XIXe siècle. Afin de hâter la formation de cadres ma­rocains à certaines spécialités, le Makhzen a en effet envoyé un certain nombre de tolbas (étudiants) en stage dans différentes écoles et académies militaires européennes (France, Angleterre, Belgique…). La France reçoit ainsi, vers 1884, sous le règne de Moulay Hassan Ier, un groupe d’une vingtaine d’étudiants ma­rocains pour effectuer un stage, notamment à l’École du génie de Montpellier. Plus tard, la même expérience est renouvelée par les auto­rités du protectorat, qui envoient en visite dans l’Hexagone, au cours de l’été 1921, un groupe d’élèves officiers de la première promotion sortie de l’École Dar El Beïda de Meknès. D’autres voyages de plusieurs semaines seront organisés par l’ad­ministration au profit d’élèves des écoles et col­lèges musulmans, soi­gneusement triés sur le volet. Ces voyages prennent « les pro­portions d’une sorte de pèlerinage aux sources intellectuelles et artistiques de la civilisation française et de parcours mondain des­tiné à introduire l’élite du Ma­roc de demain dans la haute société française », observe l’historien Daniel Ri­vet (dans Lyautey et l’institution du protectorat français au Maroc, 1988). Les programmes de ces visites, effectuées sous bonne garde, sont soigneusement étudiés, préparés et exécu­tés par le résident général, afin d’éviter tout dérapage. Dans une note, Lyautey recommande que les élèves « doivent rester groupés, loger ensemble dans les hôtels bien choisis, ne pas s’écarter des habitudes musulmanes. […] Avant tout ne pas prendre de tenue européenne, ni rien qui s’en appro­che, mais rester dans la tenue strictement marocaine ».  Témoignage si éloquent du conservatisme socioculturel du rési­dent général, qui veut éviter à tout prix que l’influence de la vie moderne occidentale et la culture française n’imprègne les esprits des jeunes Marocains. La volonté de Lyautey de maintenir cette jeunesse dans ses « séculaires habitudes », comme il dit, explique que ces expériences ne seront pas renou­velées.

*Mohammed Bekraoui , historien, spécialiste de l’histoire contemporaine du Maroc et des relations maroco-françaises. Il s’intéresse également à l’histoire militaire.

Source : Zamane

Les Français Ont-Ils Vraiment Assassiné Le Sultan Moulay Hafid ?

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Les Français Ont-Ils Vraiment Assassiné  Le Sultan Moulay Hafid ?

Par Mustapha Alaoui, le 07/05/2012

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Ceux qui ‘intéressent aujourd’hui aux articles de presse, ou similaires, ou supposés, peuvent avoir oublié un des symboles majeurs de nos hommes politiques, leader d’un grand parti, un de ceux qui ont ouvert la voie vers l’indépendance, le grand dirigeant Mohamed Ben Hassan Ouazzani, une véritable génie, un intellectuel qui aura laissé dans ses Mémoires des quantités impressionnantes d’informations et de données historiques. Parmi elles, cette indication, qui revêt une grande importance pour le présent comme pour l’avenir, et qui concerne l’éventualité d’un régicide commis par les Français en 1937 sur la personne du sultan Moulay Hafid, déposé en 1912.

Les informations rapportées par des gens insignifiants, qui sont contentés de reproduire les écrits de mercenaires français, sur la supposée “vente” du Maroc aux Français par Moulay Hafid, pour la somme de 500 millions, contribuant ainsi à ternir l’image du Sultan, celui-là même qui a mérité avec éclat le titre de Sultan du Jihad, sont totalement fausses, sinon orientées.

Ainsi donc, le grand leader du Parti de la Choura et de l’Istiqlal, Mohamed Ben Hassan Ouazzani, a écrit, dans un style qui reflète la crainte des représailles françaises : “La presse allemande a laissé entendre en 1937 ce qui circulait déjà dans les cercles français et internationaux, à savoir que le sultan Moulay Hafid, qui était reclus dans les environs de Paris, avait envisagé de demander aux Français de le réinstaller sur son trône le 30 mars 1937, date exacte de la fin du Traité du protectorat, qui était prévu pour 25 ans ; mais quelque temps après, le monde a été surpris d’apprendre le décès de Moulay Hafid, avant cette date. Cet évènement a produit des analyses aussi diverses que les commentaires sur la survenue de ce décès” (mémoires de Mohamed ben Hassan Ouazzani).

“Les enfants du Sultan disparu avaient été empêchés de se rendre sur les lieux de décès de leur père. Et les Français avaient chargé le conseiller qu’ils avaient eu le soin de faire nommer auprès du Sultan, Kaddour ben Gharbit, d’aller sur place et de recueillir les effets personnels du défunt” (Idem). Et c’était précisément là, l’élément qui a suscité les doutes d’el Ouazzani sur la responsabilité des Français dans la mort de Moulay Hafid, avant le transport de sa dépouille, dans un cercueil plombé, à Rabat, pour son inhumation.

Il eût été plus judicieux de la part des Marocains d’approfondir leurs connaissances sur l’histoire du Sultan, qui était l’oncle de Mohammed V, et qui avait marqué de sa présence les manuels et traités d’histoire du Maroc du début du XXème siècle. Moulay Hafid est donc une partie importante de notre histoire et un modèle précurseur de ce qu’il peut encore survenir dans ce pays… si tant est que nous soyons convaincus que l’histoire se répète.

Le monde, dans les années 1910, était concentré sur les préparatifs de la 1ère Guerre mondiale, de la guerre du monde contre les Allemands, ces mêmes Allemands qui étaient de solides alliés de Moulay Hafid.

“Cet homme, animé par les convictions vraies, logiques, voire révolutionnaires, à un moment où les Français déployaient tous les moyens pour avoir raison de la résistance marocaine, faisait tout ce qui était en son pouvoir pour échapper à l’emprise de la France. Il avait donc noué des contacts avec l’Allemagne, l’Italie et la Turquie pour obtenir leur aide, mais il ne réussit qu’à acquérir quelques armes allemandes” (“La harka hafidiste”, Allal el Khdimi).

Et de même la manière que pour les critiques proférées plus tard contre Hitler et qui avaient conduit à la Seconde guerre mondiale, le sultan Moulay Hafid avait été accusé de faire preuve de discrimination à l’égard des juifs.

Ainsi donc, alors que le monde s’apprêtait à mettre à genoux l’empire ottoman, le sultan Moulay Hafid avait mandé des instructeurs turcs pour son armée, mais les Français eurent tôt fait de l’en dissuader, puis de lui intimer l’ordre de les renvoyer chez eux. Le sultan avait refusé, et les Français commencèrent alors leur travail de sape contre les Turcs, un travail émaillé de violences diverses qui ont conduit le chef de la mission turque, Aref Taher, à s’enfuir en terres espagnoles. Ainsi donc, les forces françaises au Maroc se sont mises à considérer le Sultan comme un terroriste, employant les mêmes arguments déployés aujourd’hui pour ranger quelqu’un parmi dans ce groupe, le traitant de théologien prédicateur appelant à l’adhésion à l’islam, de “jihadiste” qui a combattu la France… dans la Chaouïa. “Ses soldats et ses partisans ont lutté contre l’armée française dans la région de la Chaouïa en 1907-1908 et, pendant la durée de son règne, il a tout fait pour favoriser l’entrée des troupes allemandes au Maroc” (“Le Maroc au temps des sultans”, Walter Harris,). “Ce sont les Français qui ont fomenté contre le Sultan la révolte de Bouhmara et la révolution de Moulay Lekbir” (“La harka de Fès”, Paul Azan)

Puis, cela fut le tour de la presse britannique de s’en prendre à Moulay Hafid, considérant que la répression de la révolte de Bouhmara allait à l’encontre des droits de l’Homme, et menaçait les intérêts britanniques et les personnes sous la protection de la Couronne anglaise. Et le Times s’était également mis de la partie en dressant l’opinion publique britannique contre le Sultan, ce qui incité ce dernier à publier un communiqué – comme c’est le cas aujourd’hui pour la Libye – dans lequel il déclare : “Le Sultan déclare qu’il n’a commis aucune exaction contre les partisans de Bouhmara, et qu’il veille en revanche à entreprendre à leur égard une démarche humanitaire compatible avec notre religion musulmane” (Mohamed el Hajoui).

Les Français ont alors mis un terme à la résistance du Sultan à travers leur occupation de la ville de Fès, le 21 mai 1911, autorisant les Espagnols à prendre possession de Larache, avant la signature du Traité du Protectorat en 1912. Ce sont les Allemands qui, par leur entrée à Agadir en 1911, auront offert une possibilité de désenclavement à Moulay Hafid.

Et, bien évidemment, l’histoire des relations entre la France et le Maroc a été émaillée d’attaques récurrentes de la presse, même gouvernementale, poussant le chargé de presse du palais à écrire au Sultan : “Nous informons Notre Seigneur que l’indélicat et maudit directeur du journal gouvernemental, s’est lâché dans les pages de trois titres de presse, qu’il a semé le doute sur le Jihad accompli par Votre Grandeur ; il a même précisé que Votre Majesté bénie de Dieu a conseillé aux siens de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour gêner les étrangers” (Abdeslam Safhaji, 2 novembre 1909).

Quant au commandant militaire français de Rabat, le général Moinier, du nom duquel avait été baptisé un des boulevards de Rabat, il a rédigé pour sa part un rapport reprenant un article du journal “le Temps”, dans lequel il dit : “Le Makhzen n’a eu de cesse de nous mettre des bâtons dans les roues et d’altérer notre mission et notre action. Il n’aurait jamais ressenti ni peur ni lassitude, n’eût été ce rapprochement entre la France et le camp de Bouhmara, ou encore ce mouvement de rébellion de Moulay Lekbir” (Paul Azan).

Et, pour la première fois en ces temps-là : “Les populations de Rabat ont eu la surprise de voir le commandant militaire français dans la capitale, le général Ditte, empêcher les Marocains d’enterrer leurs morts au cimetière de Laâlou, un lieu qu’il a mis à profit pour y dresser les tentes de ses troupes. Quant au général Dalbiez, il a lâché ses hommes, à Meknès, contre les femmes résident au palais royal de la ville. Enfin, le colonel Hanus, le commandant militaire de Fès, a transformé la mosquée de Bab el Kissa en centre pour le Renseignement français” (Lyautey et l’institution du protectorat français au Maroc, 1912-1925″, Daniel Rivet).

Quand au grand savant, Mokhtar Soussi, il a loué les succès de Moulay Hafid en ces termes : “La situation s’est encore plus crispée du fait des propos tendancieux et orduriers colportés par les espions de l’ennemi sur la personne de Moulay Hafid, à savoir – sauf votre respect – son caractère tyrannique et méprisant ainsi que son athéisme. Et ces ragots ont rejailli sur le peuple ignorant et religieux, incapable de faire montre de l’esprit rationnel et de la force nécessaires à notre temps”.

Et pour la première fois, un vent de colère a soufflé au sein de l’armée marocaine ; de nombreux soulèvements et actes de rébellion ont alors été enregistrés, des bataillons ayant même été jusqu’au palais royal pour demander l’autorisation au Sultan de faire mouvement. Cela a donné lieu à ce que les Français ont plus tard appelé les journées sanglantes du 17, 18 et 19 avril : “Toutes les versions concordent sur le fait que les troupes se sont infiltrées en ville, aidées et soutenues par les populations qui pensaient que le Sultan avait décrété le jihad. Tout ce monde s’en est pris aux officiers français, qui furent massacrés, mais sans aucunement toucher aux Allemands, aux Espagnols et aux Britanniques, afin d’éviter toute accusation de communautarisme religieux. Et comme les juifs avaient célébré l’arrivée de l’ambassadeur français, un pogrom a eu lieu contre eux, occasionnant une cinquantaine de morts dans leurs rangs… Si nous nous interrogeons sur les raisons de ce soulèvement qui a fait des centaines de victimes dans l’armée française et des milliers de morts marocains, nous en arriverons inévitablement à l’expliquer par la résistance à l’occupation” (“La harka de Moulay Hafid”, Allal el Khdimi).

Quant au conseiller commun au Sultan et au gouvernement français, Kaddour ben Gharbit, il a écrit : “Le sultan Moulay Hafid m’a dit qu’il avait accepté et entrepris des choses nouvelles au Maroc, mais que si les Français maintenaient leur comportement actuel, il fera quelque chose de véritablement nouveau pour un sultan : il se suicidera” (Télégramme n°76 de la résidence générale au Quai d’Orsay, 25/4/1912).

C’est donc pour cela que le maréchal Lyautey s’était empressé de mettre le Sultan dans ce qui ressemble à un état de détention, avant de publier un communiqué où il affirmait que Moulay Hafid devait quitter le Maroc, pour raisons de santé : “Alors qu’il était sur le navire qui le menait en France, dans des conditions qui ressemblaient fort à celles d’un prisonnier, le Sultan était persuadé qu’une fois en France, il allait être incarcéré, et pour cette raison, ses nerfs étaient à vif, et lui à cran” (Walter Harris, “Le Maroc au temps des sultans”).

Mais Lyautey était trop intelligent pour mettre le sultan aux arrêts ; aussi, il maquilla son déplacement en France en voyage d’agrément, largement couvert par la presse, et à son arrivée à Marseille, une fanfare l’attendait sur le port pour l’accueillir avec les honneurs dus à son rang. Lyautey avait travesti les choses, comme s’il s’agissait d’un renoncement libre et librement consenti de Moulay Hafid à son trône, au profit de son frère Moulay Youssef de la faiblesse duquel les Français ont tiré profit pour jeter les bases d’un Maroc nouveau, un Maroc qui s’est volontairement soumis au protectorat de Paris. Le Maréchal a donc incité les journaux à insister sur le voyage touristique, dont ils parlaient comme étant “les aventures de Moulay Hafid en France”.

“Lorsqu’il monta dans le train pour aller de Marseille à Vichy, et que le train entra dans un tunnel, le Sultan se mit à hurler, pensant que les Français l’avaient fait entrer dans ce lieu sombre pour attenter à ses jours. Mais quand ils le persuadèrent qu’il ne s’agissait que d’un tunnel, et quand le train en sortit et que la lumière du jour fut revenue, Moulay Hafid leur dit de ne plus jamais refaire la même chose et que si un autre tunnel se trouvait sur la route, il préférait descendre du train et faire le trajet à pied” (“Mémoires”, ben Gharbit).

Mais le moment culminant des mauvais traitements infligés par les Français à Moulay Hafid fut quand le convoi quitta le port de Marseille, et que Moulay Hafid eût pris place dans une voiture décapotable ; “Les Français massés sur les côtés de la route l’ont hué, sifflé, ont hurlé et demandé sa déposition aux cris de ‘le voilà donc, l’assassin de nos fils’, mais sans que jamais personne ne susse qui étaient les véritables commanditaires de cette manifestation” (Idem).

Puis le sultan fut transporté en Espagne, et après en France, où sa mort fut annoncée en 1937, dans des conditions douteuses, une mort intervenue lorsqu’il a demandé son retour au pays, à la veille de la victoire allemande sur la France.

Source : Panora24

1956 : Ombres et lumière : Scission dans le camp nationaliste

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Publié par Le soir Echos le 11/08/2010

1956 : Ombres et lumière : Scission dans le camp nationaliste

Par Kenza Homman Loudiyi et Abdellah El Ghazouani

Deux hommes, Allal El Fassi et Mohamed Belhassan Ouazzani, que tout aurait dû rassembler, sont à l’origine de la création de deux partis, ancêtres du PI et du PDI, qui vont faire l’apprentissage de la vie politique moderne, mais qui, à l’indépendance, en arriveront à l’affrontement violent, qui sera coûteux en vies humaines.

Les deux leaders, tous deux sont nés à Fès, en 1910. Allal El Fassi subit l’influence du mouvement salafite. Il fera ses études supérieures à la Qarawiyyin.

Belhassan Ouazzani, après le msid, et le CEP, entre au lycée Moulay Idriss, puis au lycée Gouraud. Il passe le baccalauréat à Paris et il obtient son diplôme d’études supérieures en sciences politiques.

Les deux hommes participent à la création du Comité d’action marocaine (CAM). Mais au sein du CAM, la scission, qui se profilait, finit par éclater au grand jour, après mars 1937.

Le 23 juillet 1937: lancement du Parti national (PN), sous la direction de Allal El Fassi. Mohamed Belhassan Ouazzani, réplique en créant la Haraka qawmiya, le Mouvement patriotique.

Les 1er et 2 septembre, des incidents meurtriers éclatent à la province de Meknès. El Fassi organise des actions dans plusieurs villes. Le 26 octobre 1937, le Parti national est dissous. Le 3 novembre, El Fassi est envoyé en résidence surveillée au Gabon. Le 29 octobre, Ouazzani l’avait précédé dans le Sud marocain.

Parti de l’istiqlal (P.I.) – Parti démocratique de l’indépendance (P.D.I.)

L’exil des deux leaders prend fin en 1946, avec un Résident libéral, Labonne. Entretemps, le Parti national était devenu, en décembre 1943 le Parti de l’istiqlal. Ouazzani fonde le Parti démocrate pour l’indépendance (P.D.I.).

Mais après le voyage de Sidi Mohamed ben Youssef à Tanger en 1947, Alphonse Juin est nommé Résident, avec pour mission de «remettre le Sultan dans le creux». Les deux partis vont alors prendre des trajectoires différentes.

Le général Juin est venu à Rabat, un plein dossier de «réformes» sous le bras. Mais le Sultan refuse d’y apposer son sceau chaque fois qu’elles revêtent un caractère de co-souveraineté, opposé à l’esprit du traité de Fès. Sur ces «réformes», tandis que le P.I. calque son attitude sur celle du souverain, le P.D.I. choisit, lui, une autre voie.

Ouazzani remet au Résident un mémorandum le 23 septembre 1947 sur sa vision de la situation au Maroc. A partir du 28 novembre, tous les vendredis, à la Résidence, réunion entre les autorités françaises et le P.D.I.

C’est le «Plan d’action immédiate ». Le P.I. dans sa presse l’attaque violemment, tout comme il fait feu de tout bois contre les «réformes» proposées par le Résident.

Le P.I. dira : «L’indépendance, d’abord, ensuite, on verra». Il refusera, tant que le principe de l’indépendance ne sera pas reconnu, d’appuyer quelque projet de réformes que ce soit.

Le P.D.I., quant à lui, estime que «l’indépendance sans démocratie ne sera pas une vraie indépendance».

En 1951, néanmoins, sous l’impulsion de la Ligue arabe, quatre partis signent à Tanger un pacte d’union : deux de la zone Nord, le P.R.N. de Torrès et le P.U.M. de Naciri ; et deux de la zone Sud, le P.I. et le P.D.I. C’est le Front national marocain.

Le P.D.I. ne sera pas touché par la vague de répression de décembre 1952,après l’assassinat du syndicaliste tunisien, Ferhat Hachad. Mais, le 2 août 1953, il dénonce la manœuvre qui se préparait, et le 17 août, un de ses dirigeants, Abdelkader Benjelloun, envoie une lettre de protestation au Quai d’Orsay.

Le P.I. n’aura de cesse de répéter à l’envi que les « shouristes » étaient des «traîtres», et cela depuis le 11 janvier 1944.

Même si le 13 janvier 1944, Abdelhadi Boutaleb, au nom des amis de Ouazzani avait remis à Sidi Mohamed ben Youssef un manifeste, dans lequel, à leur tour, ils demandent l’indépendance du Maroc.

Après 1947, la Résidence générale mettra la pression sur le P.I. –comme sur le Sultan– dans le but de fissurer leur alliance tactique.

En donnant l’impression d’accepter les avances du Résident général, le P.D.I. a-t-il commis une erreur historique et une faute politique ? Tout comme le Parti communiste marocain, qui a tardé à prendre le train en marche, en refusant de s’associer à la revendication d’indépendance.

Le PCM

Entre 1936 et 1939, ce parti était un simple comité régional du Parti communiste français, et ouvert aux seuls Européens. En 1943, avec comme Secrétaire général Léon Sultan, il devient autonome, et s’appelle le Parti communiste du Maroc. En 1945, il prendra la dénomination de Parti communiste marocain (P.C.M.).

Il modifie sa tactique, par la suite. Ali Yata, le nouveau secrétaire général, est reçu au Palais par Sidi Mohamed. Il réclame l’indépendance dans le cadre de l’Union française. Avec la marocanisation de ses cadres et le début de la guerre froide, il devient nationaliste et anti-impérialiste. Mais, ni le P.I. ni le P.D.I. n’accepteront de travailler avec lui. Et, en 1951, il ne sera pas invité à faire partie du Front national marocain commun.

Pour le parti de l’Istiqlal, la faute de janvier 1944 est impardonnable, quoi que le P.C.M. ait pu faire pour se racheter, par la suite. D’autant que les deux partis allaient se retrouver en concurrence, entre 1947 et 1952, pour s’attirer les suffrages des milieux populaires. Le «péché originel» du PCM allait longtemps rester un fardeau pour lui.

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Mohamed Hassan El Ouazzani : Le pionnier du pluralisme et de la presse indépendante

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Publié par La gazette du Maroc le 24/04/2006

Mohamed Hassan El Ouazzani : Le pionnier du pluralisme et de la presse indépendante

Par Bahi Mohamed Ahmed

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Notre confrère Bahi Mohamed Ahmed poursuit sa série exclusive sur les leaders politiques marocains disparus. Après Allal El Fassi, dont le portrait a été brossé dans notre édition de la semaine dernière, il nous présente, cette semaine, un autre leader charismatique : Mohamed Hassan El Ouazzani, leader du Parti de la Choura et de l’Istiqlal et précurseur de l’idéal démocratique et pluraliste pour lequel il militait dès les années trente. Un homme politique qui sort des sentiers battus.

Mohamed Hassan El Ouazzani se démarque largement des leaders politiques que le Maroc a connus, que ce soit durant les années de lutte nationale ou après la proclamation de l’indépendance du Royaume.
Mahjoubi Aherdane, qui l’a connu de très près durant les années de braise, affirme que « Mohamed Hassan El Ouazzani a beaucoup plus souffert durant les années de l’indépendance que durant celles du protectorat ». Feu Ali Yata, autre leader et fondateur de l’ancien Parti communiste marocain (aujourd’hui PPS) souligne, pour sa part, que « Mohamed Hassan El Ouazzani est incontestablement l’un des pères fondateurs de la lutte nationale pour l’indépendance ».
Pour sa part, feu Abderrahim Bouabid, le leader charismatique de l’USFP, considère que le leader du Parti de la Choura et de l’Istiqlal (PDI) « était une référence, un maître et un exemple pour ses compagnons de lutte. Son intégrité, sa droiture et ses attitudes audacieuses et sa sagesse à toute épreuve faisaient de lui un patrimoine commun de tous les Marocains de toutes les couches sociales, de toutes les sensibilités politiques et culturelles ».

Un demi-siècle au service de la patrie
Mohamed Hassan El Ouazzani est né en 1910 à Fès. A la proclamation du protectorat, il avait à peine deux ans, mais c’est à un âge précoce qu’il s’engagea dans le mouvement national.
Le 9 septembre 1978, il nous quittera au terme d’un parcours nationaliste exemplaire. Une vie vouée à la liberté, aux idées pluralistes et à la presse authentiquement indépendante.
Un demi-siècle de résistance à toutes les manoeuvres colonialistes, au point de faire de Mohamed Hassan El Ouazzani un phénomène de la vie politique marocaine.
Dans sa démarche, la lutte pour l’indépendance était aussi celle de la démocratie, du pluralisme et l’Etat de droit. C’est ce qui fera de lui un précurseur.
Après des études à El Quaraouiyine, il
ira en France pour parfaire sa formation dans les sciences politiques. Il intégrera également l’école de journalisme et se met à étudier les langues orientales. Il préparera son doctorat de sciences politiques en Suisse et en profite pour créer l’une des toutes premières structures politiques, à savoir l’association des étudiants musulmans en France.
A son retour au Maroc, il fonde la Koutla de l’action nationale et rédige le texte des propositions de réforme interne réclamée dès les années trente par les pionniers du mouvement national.

Utiliser la langue de l’occupant pour le combattre avec
En 1933, il lance le journal « Al Maghrib » et sera, quelques années plus tard, le rédacteur en chef et la cheville ouvrière d’un journal pionnier “L’action du Peuple”, l’organe officiel de la Koutla de l’Action nationale. Une publication pour laquelle il a choisi la langue française. Une autre manière d’utiliser la langue de l’occupant pour le combattre avec.
Tous les cercles politiques s’accordent à considérer Mohamed Hassan El Ouazzani comme étant l’authentique pionnier de
la presse écrite au Maroc. C’est ainsi
qu’il lancera coup sur coup plusieurs publications dont, notamment, le quotidien “Array El Am” (l’opinion publique), “Addoustour” (la Constitution) “Assyassa” (la politique) et “Assaiha” (l’appel). Mais ce qui distingua le plus Mohamed Hassan El Ouazzani est la régularité de ses chroniques et textes qu’il publiait dans les différents journaux qu’il a eu l’occasion de publier durant ces années de lutte anti-coloniale puis durant les premières années de l’indépendance.

Neuf années d’exil au Sahara
Après la scission de la Koutla de l’Action Nationale, il fonda la fameuse “Haraka Al Kaoumia” pour contrecarrer ses adversaires du mouvement national présidé par feu Allal El Fassi, le futur président et leader du Parti de l’Istiqlal. Cette mouvance qui prendra par la suite le nom du Parti de la Choura et de l’Istiqlal (le Parti de la Démocratie et de l’Indépendance PDI).
En 1937, il sera arrêté et exilé au Sahara durant neuf années dans les pénitenciers d’Akka, Tata, Tagounit, Guelmima et Itzer.
Libéré en 1946, il reprendra son action politique et choisira de s’installer définitivement au Caire, la capitale égyptienne, où il poursuivra sa lutte pour l’indépendance des pays du Maghreb et pour la réalisation de ses idéaux panarabes.
On retiendra également de son itinéraire qu’il avait assuré le secrétariat permanent du grand leader arabe, Chakib Arsalane, et qu’il était aussi membre du bureau du Maghreb Arabe au Caire qui réunissait l’élite des militants politiques marocains, algériens et tunisiens et que présidait un certain Abdelkrim Khattabi, membre de la délégation marocaine ayant défendu la cause nationale auprès du mouvement des non-alignés à Bandoeng en 1955. L’occasion de côtoyer, entre autres, les présidents égyptien Jamal Abdennasser, indonésien Sukarno, indien Jawaharlal Nehru sans oublier le leader tunisien Habib Bourguiba. Il ira égalelment aux Nations Unies pour défendre la cause marocaine.

Traduit de l’arabe par Omar El Anouari

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Histoire. L’Istiqlal tortionnaire ?

Telquel

Publié par TelQuel, n° 172, avril 2005.

L’istiqlal tortionnaire?

Par Driss Bennani

L’Istiqlal a torturé des centaines de personnes dans des maisons de torture secrètes entre 1956 et 1960. Des cadres du parti le reconnaissent aujourd’hui. Mais de quel Istiqlal parlons-nous ? Celui de Balafrej, d’El Fassi ou de… Ben Barka ? Enquête

Saura-t-on, un jour, ce qui s’est réellement passé lors des trois premières années de l’indépendance ? Nos responsables politiques (certains d’entre eux) auront-ils le courage d’assumer enfin ce que les plus honnêtes d’entre eux appellent gentiment
aujourd’hui “les écarts de départ” ? Cesseront-ils de noyer la vérité au milieu de leurs accusations croisées, et souvent manipulatrices ? Une récente visite à Dar Bricha (Tétouan) a brusquement remis ces questions au goût du jour. Initiée par le Forum vérité et justice (FVJ), elle a révélé au grand public cette banale maison tétouanaise, dressée au milieu de nulle part, délabrée et aujourd’hui habitée par deux familles nombreuses… et visiblement pas tout à fait au courant de l’objet de la visite ce jour-là. Pourquoi autant de monde s’était-il soudain donné rendez-vous devant leur ancienne demeure ? Que trouvent-ils de si intéressant à ces murs qu’un promoteur immobilier avait menacé de raser il n’y a pas si longtemps de cela ? Ils seront les premiers surpris en apprenant que, là même où ils vivent aujourd’hui, des hommes ont goûté aux pires des tortures et que, pour beaucoup, Dar Bricha était la “dernière demeure”. Bien avant Derb Moulay Cherif, Agdez ou Tazmamart. La première maison de torture du Maroc indépendant. Rien que ça.
Qui y était torturé, par qui, quand, comment et pourquoi ? Difficile de répondre. à moins de céder aux versions aussi têtues des uns que des autres, il est difficile de fournir des réponses vraies et affirmatives. Grosso modo, disons que (ce sont les seuls faits avérés) Dar Bricha était tenue par des istiqlaliens ou proches du parti nationaliste, que de nombreux Chouris (membres du parti de la Choura et de l’Istiqlal) et autres y ont été torturés à partir de 1956. Aller plus loin dans la recherche de vérité se révèle être un véritable casse-tête. “Même au niveau de l’IER, il est difficile de trancher, tant ces premières années de l’indépendance restent floues. Le paysage politique était encore un tout compact et le pouvoir trop dilué pour que des responsabilités soient clairement établies”, analyse cet observateur, proche des membres de l’instance.

L’Istiqlal, mais lequel ?
Dans l’esprit des Chouris pourtant, point de doute. Leur parti est aujourd’hui presque inexistant et n’ont qu’une revanche à prendre, acculer l’Istiqlal, leur ennemi de toujours. Abdessalam Ouazzani est le coordonnateur du parti du Choura et de l’Istiqlal dans les provinces du nord. Le sexagénaire ne bronche même en lançant, une énième fois sans doute, que “l’Istiqlal est à 100% responsable des atrocités qui ont eu lieu au lendemain de l’indépendance”. “Le parti d’Allal El Fassi, poursuit Ouazzani, enlevait nos militants, les torturaient, souvent à mort. L’Istiqlal est le précurseur du crime politique au Maroc indépendant”. Exactement le genre de déclarations qui fait méchamment sourire les cadors du parti d’Allal El Fassi. Sans renier cette époque sombre de l’histoire récente du pays (ils reconnaissent les tortures, l’existence de Dar Bricha, etc.), ils insistent, dans un premier temps, sur le côté “sporadique et spontané de ces égards”. Pour beaucoup d’entre eux, “il s’agit de groupes de Feddaiyine (résistants) réfugiés dans certains repères du parti (dont Dar Bricha), devenus incontrôlables après l’indépendance, et qui auraient agi de leur propre gré”.
Premier point donc, il existait bien une relation organique entre les tortionnaires et le parti de l’Istiqlal, de l’aveu même de certains leaders actuels. Mais agissaient-ils réellement sans l’aval de la direction centrale du parti, étaient-ils réellement incontrôlables ?
Difficile de faire croire cette version des faits aux quelques chouris endurcis, encore à la recherche d’équité (peut-être moins de réconciliation). C’est que ces derniers ont leurs arguments également. “Les enlèvements se faisaient en voiture, exécutés par des groupes sur les routes, à la sortie des maisons, etc. Des centaines de personnes enlevées, au même moment, étaient ensuite emprisonnées dans plusieurs maisons de tortures dans le nord du royaume, déplacées, etc. Tout cela nécessite des moyens, une stratégie. Ce n’était pas du tout improvisé. C’est risible d’entendre des responsables actuels de l’Istiqlal dire que leurs état-majors n’étaient pas au courant”. Sous couvert d’anonymat et de conditionnel, ce jeune responsable istiqlali rodé aux ruses du vieux parti analyse : “Vu que les victimes étaient des chouris, le bourreau ne pouvait être qu’istiqlali”. “D’accord, mais de quel Istiqlal parle-t-on dans ce cas?”, s’aventure presque à penser un membre du conseil national du parti. La question, d’apparence anodine et politicienne, est pourtant lucide. Jusqu’en 1959, date de la création de l’UNFP, l’Istiqlal réunissait tous les courants politiques du Maroc. Y cohabitaient des gens comme Allal El Fassi, Mohamed Boucetta, mais aussi Abderrahim Bouabid et Mehdi Ben Barka. Ce qui permet à certains renards du parti nationaliste de se blanchir en acculant l’aile gauchiste et blanquiste que couvait l’Istiqlal. “Ce sont eux qui sont à l’origine de ces massacres, c’est d’ailleurs dans leur culture. Ne s’illustreront-ils pas plus tard par plusieurs actes de violence ?”, lance le même membre du conseil national. Le ton change …

Et l’état dans tout cela ?
Selon une correspondance rédigée par Abdelkrim El Khattabi à l’attention de Mohamed Ouazzani (chef du parti de la Choura et de l’Istiqlal) en 1960 (voir encadré), l’émir du Rif liste des maisons de torture existant partout dans le royaume, et estime le nombre de torturés entre 1956 et 1960 à plus de 9000 personnes. “Le chiffre est exagéré, peut-être même multiplié par 10”, analyse un observateur indépendant. Qu’à cela ne tienne, une question s’impose : où était donc l’état (ou la monarchie) au moment où des centaines de ses citoyens (sujets) étaient enlevés, torturés, tués et enterrés? Si Abdelkrim El Khattabi, de son exil au Caire, a pu estimer cela, qu’en est-il du pouvoir central à Rabat ? “C’est ne pas se mettre dans le contexte de l’époque”, répond cet historien. En 1956, le Maroc accède tout juste à l’indépendance. Dès son retour d’exil, Mohammed V affirme qu’il est désormais roi de tous les Marocains. L’Istiqlal, parti qui a toujours co-revendiqué la paternité de l’indépendance, sent le coup venir. Fin 1955, un gouvernement pluriel est nommé, avec un Premier ministre indépendant à sa tête (El Bekkay), 10 ministres de l’Istiqlal et 6 du Choura. L’Istiqlal rumine sa rage et finit par revendiquer un gouvernement homogène, menaçant de quitter celui déjà en place. En 1956, craignant que la popularité du parti d’Allal El Fassi ne se retourne contre lui, Mohammed V cède aux pressions et nomme Ahmed Balafrej à la tête d’un gouvernement Istiqlali. Petit à petit, le parti tisse sa toile un peu partout dans les institutions du jeune état indépendant au point de s’en confondre. “Ils contrôlaient la police, la justice, les prisons, etc. Ils étaient gouverneurs, procureurs et ministres. Un rouleau compresseur qui rasait tout ce qui ne lui plaisait pas”, raconte Abdessalam Ouazzani. à commencer par les Chouris, évidemment.

Pourquoi ?
Le parti d’El Ouazzani rassemblait une élite avant-gardiste et libérale qui dérangeait (elle parlait déjà de monarchie constitutionnelle, de libertés publiques, de légitimité démocratique, de pluralisme). “L’Istiqlal voulait, lui, jalousement garder sa position de premier parti nationaliste et l’image du parti dont les cadres ont libéré la nation”, reconnaît un responsable actuel du parti. Cela revient-il à reconnaître (expliquer) les excès des premières années d’indépendance ? Silence radio.
Des témoignages récents (dont celui de Abdallah Ouaggouti, grand compagnon d’Abdelkrim El Khatib) font cependant sortir les responsables de l’Istiqlal de leurs gonds. Ils racontent comment Allal El Fassi a personnellement visité Dar Bricha et demandé à ce qu’on lui fasse entendre les hurlements des chouris. Et là, c’est le secrétaire général du parti en personne qui monte au créneau. Selon Abbès El Fassi, “dire cela est insultant. Cela ne nous dérange pas que le peuple marocain sache toute la vérité sur ce qui a pu se passer lors de ces années et sur ceux qui se sont réfugiés à l’étranger et ont souvent bénéficié d’aides et de largesses de l’étranger”. La référence, à peine voilée aux gauchistes de l’Istiqlal de 56, est censée blanchir le parti de droite. Mais reconnaît de fait, au moins, l’existence et l’ampleur de ces crimes et l’origine de la relation avec l’Istiqlal. Et Mohammed V ? Il était apparemment au courant mais n’avait pas les moyens de contrer un parti qui avait, à un moment, plus de pouvoir que lui. Reste Mehdi Ben Barka. Dans une récente interview, Abdelwahed Maâch, secrétaire général du parti de la Choura et de l’Istiqlal ne mâche pas ses mots pour accuser le leader socialiste d’avoir orchestré tout cela avec Ahmed Balafrej… blanchissant au passage Allal El Fassi. Retour à la case départ.

Document. Quand Abdelkrim accable
C’est un document daté de 1960. Une lettre de huit pages envoyée par Abdelkrim El Khattabi à Mohamed Ouazzani, chef du parti de la Choura et de l’Istiqlal. Grâce à ses services de sécurité, l’émir du Rif y dit pouvoir quantifier l’ampleur des crimes politiques qui ont été enregistrés dans le pays à partir de 1956. En tout, estime Abdelkrim, ce sont 9672 personnes qui auraient été arrêtées dans la centaine de centres de détention dissimulés dans tout le royaume (et que Abdelkrim liste avec précision dans sa lettre). En outre, Abdelkrim dit pouvoir fournir tous les détails concernant les personnes arrêtées (jusque leur état civil, dit-il). à aucun moment cependant, Abdelkrim ne cite clairement l’Istiqlal, s’attardant sur des images et des insinuations qui renvoient au parti d’Allal El Fassi.
Maintenant quel crédit donner à ce document ? “Les chiffres y sont certainement exagérés, personne ne pouvait à l’époque quantifier les crimes avec autant de précision. Mais l’honnêteté des informations concernant les lieux de torture et les méthodes utilisées est établie”, explique un historien.