Le Manifeste de l’indépendance du 13 Janvier 1944
En janvier 1944, le Maroc a vécu une période charnière de son histoire avec la publication de plusieurs manifestes revendiquant l’indépendance du pays. Le plus célèbre d’entre eux, le Manifeste du 11 janvier, est souvent considéré comme l’unique événement à commémorer. Cependant, l’existence d’autres documents, comme le Manifeste du 13 janvier 1944 rédigé par Al Haraka Al Kaoumyya, dirigé par Mohamed Hassan Ouazzani, met en évidence la diversité des voix ayant contribué à la lutte anticoloniale.
Ce dossier thématique vise à explorer les contextes, contenus et les enjeux de ces manifestes pour offrir une lecture enrichie et plurielle de cet épisode historique.
Le Protectorat instauré en 1912 par le traité de Fès plonge le Maroc dans une dualité coloniale entre zones française et espagnole. Ce système marginalise les populations locales, empêche toute prise de décision politique nationale et exacerbe les inégalités économiques. Les terres agricoles les plus fertiles sont confisquées au profit des colons européens, tandis que les Marocains subissent une exploitation systématique de leurs ressources.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, le Maroc joue un rôle stratégique pour les Alliés. Lors de la Conférence d’Anfa tenue à Casablanca en janvier 1943, le président Roosevelt évoque la nécessité d’émanciper les peuples colonisés. Ces propos résonnent au sein des mouvements nationalistes marocains qui voient une opportunité pour revendiquer leur liberté.
Rédigé par des figures du Parti de l’Istiqlal, le Manifeste du 11 janvier revendique l’indépendance totale sous la conduite de Mohammed V, l’unité territoriale du Maroc et une monarchie constitutionnelle garantissant une gouvernance moderne. Ce manifeste est centré sur une vision politique sans aborder en profondeur les dimensions sociales ou économiques.
Porté par Mohamed Hassan Ouazzani et le mouvement Al Haraka Al Kaoumyya, le Manifeste du 13 janvier propose une vision plus inclusive et réformiste. Il met l’accent sur la justice sociale en établissant un système de gouvernance de type Choura qui représente toutes les classes sociales marocaines, des réformes économiques pour protéger les intérêts marocains tout en reconnaissant ceux des étrangers et une intégration internationale en adhérant aux principes de la Charte de l’Atlantique.
Durant son exil à Itzer, Mohamed Hassan Ouazzani joue un rôle déterminant dans la conception de ce manifeste. Bien que contraint par son éloignement, il reste un conseiller clé, apportant une vision réformiste qui met l’égalité sociale au centre des revendications.
Les publications des deux manifestes suscitent une réaction immédiate. Des manifestations populaires éclatent à Rabat, Salé, Fès, et dans d’autres villes. Ces protestations réunissent des Marocains de toutes classes sociales, affirmant l’universalité des revendications d’indépendance. Face à l’ampleur du mouvement, les autorités françaises réagissent par une répression violente. De nombreux signataires et militants sont emprisonnés et des dizaines de manifestants sont tués lors des affrontements.
Depuis l’indépendance, le Manifeste du 11 janvier a été érigé en symbole officiel de la lutte nationale. Cependant, cette approche marginalise d’autres contributions, notamment celles de Mohamed Hassan Ouazzani et des membres de Al Haraka Al Kaoumyya. Pour mieux refléter la diversité des luttes, il est nécessaire de reconnaître toutes les voix en honorant également le Manifeste du 13 janvier et ses acteurs, d’enrichir les commémorations nationales en incluant les contributions réformistes et sociales dans les discours publics et de sensibiliser les nouvelles générations en intégrant une histoire plurielle dans les programmes scolaires.
Les événements de janvier 1944 montrent que la lutte pour l’indépendance marocaine ne fut pas monolithique, mais portée par une multitude de visions et de courants. En réhabilitant toutes les contributions, nous enrichissons la mémoire collective et rendons justice à une période déterminante pour la construction de l’État marocain moderne.
Des confusions persistent, même parmi les intellectuels et journalistes, concernant la nature et les signataires des différents manifestes. Par exemple, Mohamed Cherkaoui, souvent présenté comme signataire du Manifeste du 11 janvier, est en réalité associé aux idées portées par le Manifeste du 13 janvier. Ces imprécisions soulignent l’urgence d’un travail historique rigoureux pour établir les faits et enrichir notre compréhension collective.
Dans son mot d’accueil de la conférence du 13 janvier 2023, tenue au siège du Centre Mohamed Hassan Ouazzani pour la Démocratie et le Développement Humain à Casablanca, Dr. Houria Ouazzani, présidente du Centre, affirme : “Aux yeux de certains, aborder la question du Manifeste de l’Indépendance au-delà du seul document du 11 janvier ne servirait qu’à nourrir la polémique. Cette position n’est pas nouvelle, mais elle ne résiste pas aux faits historiques dûment établis, mais malheureusement occultés depuis des décennies“. Dans ce même discours, Dr. Houria Ouazzani partage un témoignage de son frère Izarab Ouazzani qui illustre la durée de certaines interprétations erronées de faits historiques, dont voici les termes : “Dans une lettre à Monsieur Abderrahim Bouabid, secrétaire général de l’USFP, datée du 17 janvier 1990, Izarab Ouazzani réagit à un témoignage publié dans Attihad Al ICHTIRAKI et dans LIBERATION « concernant le Manifeste de l’Indépendance du 11 janvier 1944. Bien entendu, écrit Izarab Ouazzani, « s’agissant d’un témoignage d’un ex-membre dirigeant du parti de l’Istiqlal, vous avez laissé de côté le rôle joué par « Al Haraka Al Kaoumyya » en janvier-février 1944, ce qui ne me surprend nullement. Mais ce que je trouve navrant de votre part, poursuit Izarab Ouazzani, c’est que vous reprenez dans votre article une vieille « thèse » – déjà dépassée pour avoir été démentie – de Monsieur Abdelkrim Ghellab, quand vous écrivez : « décision a donc été prise, au sujet du texte du Manifeste – d’envoyer un émissaire à Mohamed Hassan Ouazzani pour le tenir au courant et pour lui demander sa participation en tant que porte -parole de son Parti … » « Quant à ses partisans ou sympathisants, ils ne semblaient pas, faute d’organisation, être en mesure « en l’absence de leur leader d’engager leur parti … ». Fin de citation.
Abderrahim Bouabid rapporte ensuite que « Hassan Ouazzani déclinait l’offre. »
Affirmation que conteste Izarab Ouazzani, en écrivant :
« Toutes ces allégations sont complètement fausses et contraires à la vérité. »
« En ce qui concerne la réalité, les véritables faits historiques s’établissent comme suit, et conformément aux documents. » Dr. Houria Ouazzani cite toujours :
« Le parti de l’Istiqlal avait envoyé un émissaire (Hassan Benchekroune) à Mohamed Hassan Ouazzani – qui se trouvait en exil à Itzer – pour lui soumettre une copie du Manifeste du 11 janvier 1944, accompagnée d’une carte de visite d’Omar Abdeljalil signée par ce dernier et par Ahmed Balafrej, et l’informer de la présentation du manifeste aux autorités de Rabat. Il résulte de la simple lecture de cette carte de visite … que Hassan Benchekroun n’a pas remis à Mohamed Hassan Ouazzani le manifeste du 11 janvier pour signature, mais seulement pour information, après sa présentation à Sa majesté et aux autorités étrangères. » (Selon le contenu de la lettre d’Izarab Ouazzani.)
« Contrairement à ce que vous avancez gratuitement, poursuit Izarab Ouazzani dans sa lettre, Mohamed Hassan Ouazzani n’avait ni à accepter, ni à décliner l’offre, le manifeste du 11 janvier ayant été déjà présenté au moment de la visite de Hassan Benchekroun à Mohamed Hassan Ouazzani. »
« Quant à Al Haraka Al Kaoumyya, elle a présenté de son côté, le 13 janvier 1944 son manifeste dont ci-joint une photocopie. » (Fin de citation)
En conclusion de sa lettre, Izarab Ouazzani demande à Abderrahim Bouabid « d’apporter les rectifications nécessaires ».
En ouverture de la conférence sur le manifeste du 13 janvier 1944, qui s’est tenue au Centre Mohamed Hassan Ouazzani pour la Démocratie et le Développement Humain à Casablanca, le 13 janvier 2024, Dr. Houria Ouazzani a donné l’explication du choix de la date du 13 janvier et affirme : «…d’ailleurs, pourquoi cette date du 13 janvier 1944 qui correspond à la date de la nouvelle année Amazighe ? Sans doute, mon vénéré père Mohamed Bel Hassan Ouazzani se trouvait à Itzer et accomplissait sa 7ème année d’exil. Peut-être avait-il choisi cette date du 13 janvier 1944, en accord avec ses compagnons, pour rendre hommage à la population Amazighe qui lui manifestait un soutien indéfectible.»
D’ailleurs, toutes ces précisions avancées par Dr. Houria Ouazzani sont incluses dans les deux conférences organisées par le Centre Mohamed Hassan Ouazzani pour la Démocratie et le développement Humain, et qui portent sur la thématique du manifeste de l’indépendance. Nous vous invitons à les consulter :
- Conférence du 13 Janvier 2023, sous le thème : وثيقة المطالبة بالاستقلال ليوم 13 يناير1944 : تقديم وسياق
- Conférence du 13 Janvier 2024, sous le thème : تقديم ذكرى وثيقة الاستقلال بين العمق التاريخي والرمزية السياسية
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