Les Français Ont-Ils Vraiment Assassiné Le Sultan Moulay Hafid ?

Les Français Ont-Ils Vraiment Assassiné Le Sultan Moulay Hafid ?

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Les Français Ont-Ils Vraiment Assassiné  Le Sultan Moulay Hafid ?

Par Mustapha Alaoui, le 07/05/2012

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Ceux qui ‘intéressent aujourd’hui aux articles de presse, ou similaires, ou supposés, peuvent avoir oublié un des symboles majeurs de nos hommes politiques, leader d’un grand parti, un de ceux qui ont ouvert la voie vers l’indépendance, le grand dirigeant Mohamed Ben Hassan Ouazzani, une véritable génie, un intellectuel qui aura laissé dans ses Mémoires des quantités impressionnantes d’informations et de données historiques. Parmi elles, cette indication, qui revêt une grande importance pour le présent comme pour l’avenir, et qui concerne l’éventualité d’un régicide commis par les Français en 1937 sur la personne du sultan Moulay Hafid, déposé en 1912.

Les informations rapportées par des gens insignifiants, qui sont contentés de reproduire les écrits de mercenaires français, sur la supposée “vente” du Maroc aux Français par Moulay Hafid, pour la somme de 500 millions, contribuant ainsi à ternir l’image du Sultan, celui-là même qui a mérité avec éclat le titre de Sultan du Jihad, sont totalement fausses, sinon orientées.

Ainsi donc, le grand leader du Parti de la Choura et de l’Istiqlal, Mohamed Ben Hassan Ouazzani, a écrit, dans un style qui reflète la crainte des représailles françaises : “La presse allemande a laissé entendre en 1937 ce qui circulait déjà dans les cercles français et internationaux, à savoir que le sultan Moulay Hafid, qui était reclus dans les environs de Paris, avait envisagé de demander aux Français de le réinstaller sur son trône le 30 mars 1937, date exacte de la fin du Traité du protectorat, qui était prévu pour 25 ans ; mais quelque temps après, le monde a été surpris d’apprendre le décès de Moulay Hafid, avant cette date. Cet évènement a produit des analyses aussi diverses que les commentaires sur la survenue de ce décès” (mémoires de Mohamed ben Hassan Ouazzani).

“Les enfants du Sultan disparu avaient été empêchés de se rendre sur les lieux de décès de leur père. Et les Français avaient chargé le conseiller qu’ils avaient eu le soin de faire nommer auprès du Sultan, Kaddour ben Gharbit, d’aller sur place et de recueillir les effets personnels du défunt” (Idem). Et c’était précisément là, l’élément qui a suscité les doutes d’el Ouazzani sur la responsabilité des Français dans la mort de Moulay Hafid, avant le transport de sa dépouille, dans un cercueil plombé, à Rabat, pour son inhumation.

Il eût été plus judicieux de la part des Marocains d’approfondir leurs connaissances sur l’histoire du Sultan, qui était l’oncle de Mohammed V, et qui avait marqué de sa présence les manuels et traités d’histoire du Maroc du début du XXème siècle. Moulay Hafid est donc une partie importante de notre histoire et un modèle précurseur de ce qu’il peut encore survenir dans ce pays… si tant est que nous soyons convaincus que l’histoire se répète.

Le monde, dans les années 1910, était concentré sur les préparatifs de la 1ère Guerre mondiale, de la guerre du monde contre les Allemands, ces mêmes Allemands qui étaient de solides alliés de Moulay Hafid.

“Cet homme, animé par les convictions vraies, logiques, voire révolutionnaires, à un moment où les Français déployaient tous les moyens pour avoir raison de la résistance marocaine, faisait tout ce qui était en son pouvoir pour échapper à l’emprise de la France. Il avait donc noué des contacts avec l’Allemagne, l’Italie et la Turquie pour obtenir leur aide, mais il ne réussit qu’à acquérir quelques armes allemandes” (“La harka hafidiste”, Allal el Khdimi).

Et de même la manière que pour les critiques proférées plus tard contre Hitler et qui avaient conduit à la Seconde guerre mondiale, le sultan Moulay Hafid avait été accusé de faire preuve de discrimination à l’égard des juifs.

Ainsi donc, alors que le monde s’apprêtait à mettre à genoux l’empire ottoman, le sultan Moulay Hafid avait mandé des instructeurs turcs pour son armée, mais les Français eurent tôt fait de l’en dissuader, puis de lui intimer l’ordre de les renvoyer chez eux. Le sultan avait refusé, et les Français commencèrent alors leur travail de sape contre les Turcs, un travail émaillé de violences diverses qui ont conduit le chef de la mission turque, Aref Taher, à s’enfuir en terres espagnoles. Ainsi donc, les forces françaises au Maroc se sont mises à considérer le Sultan comme un terroriste, employant les mêmes arguments déployés aujourd’hui pour ranger quelqu’un parmi dans ce groupe, le traitant de théologien prédicateur appelant à l’adhésion à l’islam, de “jihadiste” qui a combattu la France… dans la Chaouïa. “Ses soldats et ses partisans ont lutté contre l’armée française dans la région de la Chaouïa en 1907-1908 et, pendant la durée de son règne, il a tout fait pour favoriser l’entrée des troupes allemandes au Maroc” (“Le Maroc au temps des sultans”, Walter Harris,). “Ce sont les Français qui ont fomenté contre le Sultan la révolte de Bouhmara et la révolution de Moulay Lekbir” (“La harka de Fès”, Paul Azan)

Puis, cela fut le tour de la presse britannique de s’en prendre à Moulay Hafid, considérant que la répression de la révolte de Bouhmara allait à l’encontre des droits de l’Homme, et menaçait les intérêts britanniques et les personnes sous la protection de la Couronne anglaise. Et le Times s’était également mis de la partie en dressant l’opinion publique britannique contre le Sultan, ce qui incité ce dernier à publier un communiqué – comme c’est le cas aujourd’hui pour la Libye – dans lequel il déclare : “Le Sultan déclare qu’il n’a commis aucune exaction contre les partisans de Bouhmara, et qu’il veille en revanche à entreprendre à leur égard une démarche humanitaire compatible avec notre religion musulmane” (Mohamed el Hajoui).

Les Français ont alors mis un terme à la résistance du Sultan à travers leur occupation de la ville de Fès, le 21 mai 1911, autorisant les Espagnols à prendre possession de Larache, avant la signature du Traité du Protectorat en 1912. Ce sont les Allemands qui, par leur entrée à Agadir en 1911, auront offert une possibilité de désenclavement à Moulay Hafid.

Et, bien évidemment, l’histoire des relations entre la France et le Maroc a été émaillée d’attaques récurrentes de la presse, même gouvernementale, poussant le chargé de presse du palais à écrire au Sultan : “Nous informons Notre Seigneur que l’indélicat et maudit directeur du journal gouvernemental, s’est lâché dans les pages de trois titres de presse, qu’il a semé le doute sur le Jihad accompli par Votre Grandeur ; il a même précisé que Votre Majesté bénie de Dieu a conseillé aux siens de faire tout ce qui était en leur pouvoir pour gêner les étrangers” (Abdeslam Safhaji, 2 novembre 1909).

Quant au commandant militaire français de Rabat, le général Moinier, du nom duquel avait été baptisé un des boulevards de Rabat, il a rédigé pour sa part un rapport reprenant un article du journal “le Temps”, dans lequel il dit : “Le Makhzen n’a eu de cesse de nous mettre des bâtons dans les roues et d’altérer notre mission et notre action. Il n’aurait jamais ressenti ni peur ni lassitude, n’eût été ce rapprochement entre la France et le camp de Bouhmara, ou encore ce mouvement de rébellion de Moulay Lekbir” (Paul Azan).

Et, pour la première fois en ces temps-là : “Les populations de Rabat ont eu la surprise de voir le commandant militaire français dans la capitale, le général Ditte, empêcher les Marocains d’enterrer leurs morts au cimetière de Laâlou, un lieu qu’il a mis à profit pour y dresser les tentes de ses troupes. Quant au général Dalbiez, il a lâché ses hommes, à Meknès, contre les femmes résident au palais royal de la ville. Enfin, le colonel Hanus, le commandant militaire de Fès, a transformé la mosquée de Bab el Kissa en centre pour le Renseignement français” (Lyautey et l’institution du protectorat français au Maroc, 1912-1925″, Daniel Rivet).

Quand au grand savant, Mokhtar Soussi, il a loué les succès de Moulay Hafid en ces termes : “La situation s’est encore plus crispée du fait des propos tendancieux et orduriers colportés par les espions de l’ennemi sur la personne de Moulay Hafid, à savoir – sauf votre respect – son caractère tyrannique et méprisant ainsi que son athéisme. Et ces ragots ont rejailli sur le peuple ignorant et religieux, incapable de faire montre de l’esprit rationnel et de la force nécessaires à notre temps”.

Et pour la première fois, un vent de colère a soufflé au sein de l’armée marocaine ; de nombreux soulèvements et actes de rébellion ont alors été enregistrés, des bataillons ayant même été jusqu’au palais royal pour demander l’autorisation au Sultan de faire mouvement. Cela a donné lieu à ce que les Français ont plus tard appelé les journées sanglantes du 17, 18 et 19 avril : “Toutes les versions concordent sur le fait que les troupes se sont infiltrées en ville, aidées et soutenues par les populations qui pensaient que le Sultan avait décrété le jihad. Tout ce monde s’en est pris aux officiers français, qui furent massacrés, mais sans aucunement toucher aux Allemands, aux Espagnols et aux Britanniques, afin d’éviter toute accusation de communautarisme religieux. Et comme les juifs avaient célébré l’arrivée de l’ambassadeur français, un pogrom a eu lieu contre eux, occasionnant une cinquantaine de morts dans leurs rangs… Si nous nous interrogeons sur les raisons de ce soulèvement qui a fait des centaines de victimes dans l’armée française et des milliers de morts marocains, nous en arriverons inévitablement à l’expliquer par la résistance à l’occupation” (“La harka de Moulay Hafid”, Allal el Khdimi).

Quant au conseiller commun au Sultan et au gouvernement français, Kaddour ben Gharbit, il a écrit : “Le sultan Moulay Hafid m’a dit qu’il avait accepté et entrepris des choses nouvelles au Maroc, mais que si les Français maintenaient leur comportement actuel, il fera quelque chose de véritablement nouveau pour un sultan : il se suicidera” (Télégramme n°76 de la résidence générale au Quai d’Orsay, 25/4/1912).

C’est donc pour cela que le maréchal Lyautey s’était empressé de mettre le Sultan dans ce qui ressemble à un état de détention, avant de publier un communiqué où il affirmait que Moulay Hafid devait quitter le Maroc, pour raisons de santé : “Alors qu’il était sur le navire qui le menait en France, dans des conditions qui ressemblaient fort à celles d’un prisonnier, le Sultan était persuadé qu’une fois en France, il allait être incarcéré, et pour cette raison, ses nerfs étaient à vif, et lui à cran” (Walter Harris, “Le Maroc au temps des sultans”).

Mais Lyautey était trop intelligent pour mettre le sultan aux arrêts ; aussi, il maquilla son déplacement en France en voyage d’agrément, largement couvert par la presse, et à son arrivée à Marseille, une fanfare l’attendait sur le port pour l’accueillir avec les honneurs dus à son rang. Lyautey avait travesti les choses, comme s’il s’agissait d’un renoncement libre et librement consenti de Moulay Hafid à son trône, au profit de son frère Moulay Youssef de la faiblesse duquel les Français ont tiré profit pour jeter les bases d’un Maroc nouveau, un Maroc qui s’est volontairement soumis au protectorat de Paris. Le Maréchal a donc incité les journaux à insister sur le voyage touristique, dont ils parlaient comme étant “les aventures de Moulay Hafid en France”.

“Lorsqu’il monta dans le train pour aller de Marseille à Vichy, et que le train entra dans un tunnel, le Sultan se mit à hurler, pensant que les Français l’avaient fait entrer dans ce lieu sombre pour attenter à ses jours. Mais quand ils le persuadèrent qu’il ne s’agissait que d’un tunnel, et quand le train en sortit et que la lumière du jour fut revenue, Moulay Hafid leur dit de ne plus jamais refaire la même chose et que si un autre tunnel se trouvait sur la route, il préférait descendre du train et faire le trajet à pied” (“Mémoires”, ben Gharbit).

Mais le moment culminant des mauvais traitements infligés par les Français à Moulay Hafid fut quand le convoi quitta le port de Marseille, et que Moulay Hafid eût pris place dans une voiture décapotable ; “Les Français massés sur les côtés de la route l’ont hué, sifflé, ont hurlé et demandé sa déposition aux cris de ‘le voilà donc, l’assassin de nos fils’, mais sans que jamais personne ne susse qui étaient les véritables commanditaires de cette manifestation” (Idem).

Puis le sultan fut transporté en Espagne, et après en France, où sa mort fut annoncée en 1937, dans des conditions douteuses, une mort intervenue lorsqu’il a demandé son retour au pays, à la veille de la victoire allemande sur la France.

Source : Panora24