Pour une nouvelle lecture de l’Histoire du Maroc
A l’occasion de la sortie de son livre “Chroniques insolites de notre histoire (Maroc, des origines à 1907)”*, le Centre Mohamed Hassan Ouazzani pour la Démocratie et le Développement Humain a eu le plaisir d’accueillir Mme Mouna Hachim et a organisé sa 5ème conférence au titre de l’année 2016,
le jeudi 10 novembre 2016 à 16h,
sur le thème « Pour une nouvelle lecture de l’Histoire du Maroc »
animée par Mme Mouna Hachim et présidée et modérée par Pr. Antoine Fleury.
“Il est un constat établi par quelques historiens marocains de la période « classique », de la trempe de Mohamed Larbi Fassi ou Mohamed ben Jaâfar Kettani, relatif au manque d’intérêt de leurs compatriotes pour l’histoire, reprenant à l’occasion cette fameuse allégorie du voyageur et érudit égyptien, Suyuti du XVe siècle selon laquelle “Celui qui ignore l’histoire est pareil à qui monte une bête aveugle, et hésite à trouver son chemin”.
Encore aujourd’hui, beaucoup ne sont pas en mesure de donner ne serait-ce que l’ordre successif des dynasties qui ont marqué l’histoire de notre pays, encore moins, de dépouiller les détails, lire entre les lignes, débusquer les non-dits…
Or, comment décrypter lucidement les événements nationaux et internationaux, forger une conscience des solidarités humaines et citoyennes, valoriser et fructifier les acquis…sans les leçons de l’histoire?
Autant de questions à soulever au cours de cette conférence qui tentera de remonter le fil du temps depuis la période antéislamique jusqu’à l’orée du XXe siècle en mettant l’accent sur les discours produits par les différents magistères et les imageries autant nationalistes qu’occidentales.”
Mouna Hachim
* Table des matières
Chroniques insolites de notre histoire (Maroc, des origines à 1907), Mouna Hachim – Casablanca, 2016, Autoédition – (ISBN 9789954371848), 382 pages.
- Avant-Propos
- D’où viennent les Berbères?
- Aux sources africaines
- Héritage africain de la Grèce antique
- Royaumes antéislamiques
- De la civilisation libyco-phénicienne
- Rôle des «Berbères» dans les guerres puniques
- Africanité et Romanité
- Le berceau nord-africain du christianisme latin
- Juifs marocains:Descendants des tribus d’Israël ou Berbères convertis?
- Le souvenir oublié de Zarathoustra
- Royaume de Nekour: Premier État du Maroc musulman
- Révoltes berbères contre la conquête arabo-musulmane
- Enigmatique principauté des hérétiques Berghouata
- Les Béni Midrar kharijites, fondateurs de Sijilmassa
- Les premiers idrissides étaient-ils chiites?
- Quand les Idrissides furent expulsés de Fès
- Origines maghrébines de l’empire fatimide
- La parenthèse oubliée des principautés zénètes
- Les gens du Ribat (Réformateurs almoravides et almohades)
- Au-delà de l’apport civilisationnel, la violence doctrinale
- Les Béni Ghania princes almoravides des îles Baléares
- Les autres «Mahdi», agitateurs politico-religieux et faux messies
- La marche vers l’ouest des bédouins Béni Hilal
- Les Mérinides. De la conquête politique à la conquête symbolique
- Mythique Andalousie: Liens et ruptures
- Peste noire, anarchie, Reconquista… Le temps des calamités
- Une femme dans l’histoire: al-Hurra, reine de Tétouan
- Effervescence maraboutique et toile complexe de la Jazouliya
- Débuts de la dynastie Saâdienne, soutiens et turbulences
- Montée vers le Nord des tribus sahariennes
- Face à l’empire ottoman: une totale indépendance?
- Autre regard sur les Sa’diens, victorieux de la bataille des Trois Rois et conquérants du Soudan
- Sous le signe du chaos: Quand Larache fut cédée aux Espagnols
- Principautés ethniques et religieuses et avènement des Alaouites
- L’armée d’esclaves noirs de Moulay Ismaïl et mises à l’épreuve
- Moulay Slimane, les sympathies wahhabites et la crise dynastique
- Guerre de Tétouan, guerre d’Afrique
- Avant le traité du Protectorat: Occupation et système de protection
Extrait du livre :
Au-delà de l’apport civilisationnel, la violence doctrinale
L’histoire ne doit tomber ni dans la glorification ni dans la stigmatisation. Les ouvrages nationaux relatent à juste titre les réalisations almohades dont les traces sont encore éclatantes au Maghreb ou en Andalousie ; mais il est des épisodes que certains feignent ne pas connaître, les minimisant à outrance ou les passant totalement sous silence. Il s’agit des dérives almohades à l’encontre de ceux qui ne partagent pas leur doctrine, qu’ils soient musulmans ou Gens du Livre.
D’aucuns choisiront l’aspect relatif à l’étendue de leurs conquêtes, l’unification des deux-rives et l’élargissement de leurs territoires en Andalousie et au Maghreb jusqu’à Tripoli à l’est, en évoquant leurs célèbres batailles dont la victoire retentissante d’Alarcos en 1195 dans la Nouvelle Castille ou la débâcle qui sonnera le glas de l’empire en 1212 à Hisn al-Oqab, dit en espagnol Las Navas de Tolosa.
Il est certes confortable et valorisant d’exposer les réalisations architecturales, sans conteste admirables, avec des chefs-d’œuvre comme la mosquée archétypale de Tinmel, au coeur du Haut-Atlas, berceau de leur mouvement ; la Koutoubia (mosquée des libraires) dans leur capitale impériale, au minbar en bois de cèdre et incrustations de pièces d’argent et de bois d’ébène et de santal, et au minaret modèle ; avec comme répliques, la Giralda, minaret de la Grande Mosquée almohade de Séville et la Tour Hassan subsistant de la mosquée inachevée à Rabat ; la Grande Mosquée de Taza que les Mérinides dotent plus tard d’un imposant lustre en bronze, unique par sa taille en Orient et en Occident musulman, décrit par les voyageurs et historiens à travers les temps…
Leurs édifices civils ou militaires, conformes à leur doctrine austère qu’il s’agisse des remparts de Séville ou d’Ecija ; de la Tour de la Calahorra à Cordoue, l’Alcazaba de Badajoz, l’Alcazar de Jerez de la Frontera, la Kasbah des Oudaya à Rabat…
On peut aussi disserter au-delà du rigorisme moral, de l’épanouissement intellectuel et l’éclosion d’une culture spécifique nourrie de ces influences synthétisées, sahariennes, méditerranéennes, orientales avec des figures comme les savants Abou-Bakr ibn Tufayl, originaire de Guadix, auteur entre autres du roman philosophique Hay ibn Yaqdan (Le Vivant, fils du Vivifiant) donnée comme œuvre source de Robinson Crusoé ; ou Abou-Marwan Abd al-Malik de Cordoue (dit Avenzoar) dont la famille était également au service des prédécesseurs almoravides.
Que dire de la prospérité économique, des productions agricoles et artisanales, du développement du commerce et de l’industrie et de l’ouverture sur la Méditerranée et échanges avec les grands ports européens comme Marseille ou avec les républiques maritimes de Venise, de Pise ou de Gênes…
Et si les dérives sont signalées, elles sont relativisées et mises sur le même plan que celles pratiquées par tous les États à travers les espaces et les temps, ce qui reste en partie juste compte tenue des violences inhérentes aux pouvoir politiques même à l’intérieur d’une communauté.
Dans son ouvrage, Les écrits avant l’Indépendance, l’historien marocain Germain Ayache fustige cette manie de certains écrits de l’ère coloniale de parler couramment du « fanatisme » almohade » comme si, sous les souverains de cette dynastie, toute l’activité pratique, intellectuelle et artistique n’avait pas connu son plus bel essor ; comme s’ils n’avaient pas été eux-mêmes versés dans toutes les disciplines libérales de leur époque et n’avaient pas accordé leur amitié à des penseurs rationalistes parmi lesquels Ibn Rush lui-même »
Concernant justement ce rapport entre violence et pouvoir, le professeur-chercheur en pensée et civilisation arabe Dominique Urvoy écrit pour sa part: « Pour Platon déjà il ne saurait y avoir de guerre que contre les Barbares et entre Grecs, il ne pouvait y avoir que des « corrections fraternelles » ; ce qui n’a pas empêché que ces « corrections » aboutissent à la suppression de la moitié de la population grecque en quelques siècles. De la même façon, si fort que soit l’esprit de la Oumma, il y a eu de nombreux conflits d’autorité, de nombreuses révoltes ou révolutions qui ont simplement abouti à ce que, si le rebelle triomphe, il dévalorise la religiosité de son adversaire (Les Abbassides contre les Omeyyades, les Almohades contre les Almoravides)… »
Sauf à rappeler que cette violence fait partie intrinsèque de la doctrine almohade au nom d’une conception du jihad qui englobe également les musulmans et considère les gens du Livre comme incroyants.
C’est ainsi qu’Ibn Toumert disait à ses disciples: « Appliquez-vous au Jihad des infidèles voilés, il est plus important de les combattre que de combattre les chrétiens et tous les infidèles deux fois ou plus encore ».
(…)
«Pour une nouvelle lecture de l’histoire du Maroc»
Il est un constat établi par quelques historiens marocains de la période « classique », de la trempe de Mohamed Larbi Fassi ou Mohamed ben Jaâfar Kettani, relatif au manque d’intérêt de leurs compatriotes pour l’histoire, reprenant à l’occasion cette fameuse allégorie du voyageur et érudit égyptien, Suyuti du XVe siècle selon laquelle “Celui qui ignore l’histoire est pareil à qui monte une bête aveugle, et hésite à trouver son chemin”.
Encore aujourd’hui, beaucoup ne sont pas en mesure de donner ne serait-ce que l’ordre successif des dynasties qui ont marqué l’histoire de notre pays, encore moins, de dépouiller les détails, lire entre les lignes, débusquer les non-dits…
Or, comment décrypter lucidement les événements nationaux et internationaux, forger une conscience des solidarités humaines et citoyennes, valoriser et fructifier les acquis…sans les leçons de l’histoire?
Et, «qu’est-ce que l’histoire si ce n’est une fable convenue ?» selon l’expression de Fontenelle attribuée à Napoléon Bonaparte.
Terrain favori des idéologues et lieu d’éclosion des idées fondatrices des mouvements politiques, l’histoire a été tant manipulée, instrumentalisée, que sa relecture apaisée devient une nécessité impérieuse.
D’un côté, nous sommes face à la glorification de l’historiographie officielle étroitement liée au monde musulman et à la fondation du Royaume (minimisant parfois la place des peuples autochtones, les dérives de la conquête arabe, les luttes égotiques qui ont exacerbé les tensions et favorisé un climat d’anarchie…).
De l’autre côté, nous avons, par ailleurs, avec l’avènement de l’ère coloniale et le bouleversement des institutions traditionnelles, une lecture de l’histoire opérée sous un nouveau regard, faisant souvent l’impasse sur les sources autochtones.
La perception de l’histoire se charge pour l’occasion de clichés orientalistes, embarqués dans une lecture ethnographique en phase avec les pouvoirs politico-militaires. L’historiographie coloniale se fait alors dichotomique et sans nuances, fondée sur de présupposées oppositions systématiques entre Arabes/Berbères, plaines/montagnes, sédentaires/nomades, juifs/musulmans… en toute fidélité au slogan, «Séparer pour mieux régner».
Les Marocains deviennent ainsi des objets d’étude et des informateurs, mais en aucun cas des destinataires. Ils sont privés de l’enseignement de leur histoire à l’école, le pouvoir colonial ayant mesuré son rôle dans le développement du sentiment national. Ce n’est pas pour rien qu’avec l’avènement de l’Indépendance, une phase nationaliste s’est engagée dans un processus de réappropriation et de «décolonisation» de l’histoire, même si certains courants comme le panarabisme auront une influence notable…
Autant de questions à soulever au cours de cette conférence qui tentera de remonter le fil du temps depuis la période antéislamique jusqu’à l’orée du XXe siècle en mettant l’accent sur les discours produits par les différents magistères et les imageries autant nationalistes qu’occidentales.
Mouna Hachim
Président de séance :
Antoine Fleury est professeur émérite de l’Université de Genève où il a enseigné l’histoire des relations internationales et de l’intégration européenne. Ses recherches et ses publications portent sur l’histoire des relations internationales au XXe siècle, notamment sous l’angle de la coopération que ce soit dans l’entre-deux-guerres – Société des Nations, Plan Briand d’Union européenne – ou après la deuxième guerre mondiale.
Fonctions diverses
Secrétaire général de l’Association internationale d’histoire contemporaine de l’Europe depuis 1976 : rédaction d’un Bulletin et organisation en collaboration avec divers collègues de colloques internationaux sur l’histoire de l’Europe contemporaine (cf. publications).
Membre du Comité de rédaction de la revue Relations internationales depuis 1985.
Membre du Conseil de la Société suisse d’histoire depuis 1998.
Directeur de la Fondation Archives européennes depuis 1987, puis président de la Commission des archives européennes de l’Institut européen de l’Université de Genève.
Membre du comité directeur du programme international de recherche sur Les identités européennes au XXe siècle créé en 1989 à Paris sous la direction du regretté René Girault et actuellement de Robert Frank, à Paris I, avec le concours du Groupe de liaison des professeurs d’histoire contemporaine auprès de la Commission européenne et des chaires Jean Monnet (Histoire). Coresponsable du groupe de recherche sur Le rôle des guerres dans la mémoire des Européens. (cf. publications).
Membre du comité de la commission internationale d’histoire des relations internationale (1982-1995) et coresponsable du dossier relatif à l’utilisation des archives des organisations internationales par les historiens. Contribution à plusieurs colloques ou réunions de travail.
Membre associé de l’équipe de recherche du CNRS sur La défense et la diplomatie des moyennes puissances auprès de l’Institut d’histoire des conflits contemporains à Paris dès 1984.
Conférencière :
Mouna Hachim
Née en 1967, Mouna Hachim a fait des études de Littérature française à la Faculté des Lettres et des Sciences humaines de Casablanca.
Elle a obtenu un Diplôme d’Etudes Approfondies en Littérature Comparée avec comme sujet de thèse La courtoisie française et la courtoisie andalouse au Moyen Âge, consacré aux quatre premiers troubadours de Langue d’Oc et Le Collier de la Colombe d’Ibn Hazm.
Après une expérience professionnelle en communication interne dans une grande institution bancaire, elle s’oriente vers la presse et collabore dans plusieurs publications nationales.
C’est en 2004 qu’elle publie son premier roman, Les enfants de la Chaouia, une saga familiale étendue sur trois générations, envisagée comme un microcosme de la société marocaine en pleins bouleversements depuis le début du XXe siècle.
En 2007, elle a également auto-édité un travail d’érudition, le Dictionnaire des noms de famille du Maroc dont une édition revue et augmentée est parue en 2012 chez les Éditions Le Fennec.
Parallèlement, elle poursuit sa contribution dans les médias notamment à travers une chronique quotidienne sur Radio Atlantic et une, hebdomadaire, au Journal l’Economiste intitulée Chroniques d’hier et d’aujourd’hui.
Par ailleurs, elle présente sur la base de ses recherches, un documentaire historique en quatre épisodes sur la chaîne Médi 1 TV, en juillet 2014 sous le titre Triq Al-Asl (La Route des Origines).
Membre du jury du Prix littéraire Mamounia pendant trois années consécutives, elle participe à l’ouvrage collectif Ce qui nous somme, édité par La Croisée des chemins en réaction aux attentats de Paris de 2015.
Elle vient également de publier, en avril 2016, son ouvrage Chroniques insolites de notre histoire (Maroc, des origines à 1907) et s’apprête à autoéditer un volumineux dictionnaire consacré aux toponymes marocains avec la même vocation d’appréhender notre histoire sous un prisme original.